Analyse-Livres & Culture pour tous
3 Octobre 2022
Dans la transgression morale, nous étudierons la question du travestissement, du libertinage que Des Grieux adoptera par amour avant d'examiner le rapport qu'il entretient avec la religion…
repères : bac : Manon Lescaut
La problématique du dossier que nous consacrons à Manon Lescaut est la suivante : un roman de la transgression, un nouveau genre littéraire ?
Pour répondre à cette question, il vous sera proposé un dossier contenant les articles suivants :
Nous avons vu précédemment la question de la transgression familiale commise par Des Grieux ; nous nous intéresserons désormais à la transgression morale. D’abord, il convient de préciser le contour de l’analyse : nous étudierons le travestissement, le libertinage et la religion...
Le travestissement consiste à imiter par des vêtements ce qui relève culturellement du genre opposé. Dans ce livre, la question de l’habillement prête souvent à confusion. Ainsi Manon se déguise-t-elle en homme pour s’enfuir sans être vue de la Salpêtrière (1re partie). On rappelle que ce genre d’attitude est transgressive socialement.
Mais dans ce roman, certaines attitudes jouent aussi un rôle de travestissement : prenez l’épisode comique du dîner chez M.de G… M…, Des Grieux change aussi d’apparence et se fait passer pour “un écolier, frère de Manon” ; il fait des révérences ; il joue une scène : il fait l’enfant et se paye le luxe de se moquer du vieillard :
“Le vieil amant parut prendre plaisir à me voir. Il me donna deux ou trois petits coups sur la joue en me disant que j’étais un joli garçon, mais qu’il fallait être sur mes gardes à Paris, où les jeunes gens se laissent aller facilement à la débauche. Lescaut l’assura que j’étais naturellement si sage, que je ne parlais que de me faire prêtre, et que tout mon plaisir était à faire des petites chapelles. Je lui trouve de l’air de Manon, reprit le vieillard en me haussant le menton avec la main. Je répondis d’un air niais : Monsieur, c’est que nos deux chairs se touchent de bien proche ; aussi j’aime ma sœur comme un autre moi-même. L’entendez-vous ? dit-il à Lescaut ; il a de l’esprit. C’est dommage que cet enfant-là n’ait pas un peu plus de monde. Ho ! monsieur, repris-je, j’en ai vu beaucoup chez nous dans les églises, et je crois bien que j’en trouverai à Paris de plus sots que moi. Voyez, ajouta-t-il, cela est admirable pour un enfant de province. “
On est dans le registre de la comédie avec ce vieillard floué par le trio de filous.
https://fr.wikisource.org/wiki/Manon_Lescaut/Première_partie
À côté de la confusion des genres, le roman évoque le libertinage. Il faut le comprendre comme un dérèglement des mœurs : nous verrons l’aspect sexuel, mais aussi la tromperie. C’est Manon qui initie Des Grieux au libertinage.
L’infidélité de Manon
Dans le roman, l’héroïne de Prévost est double ; elle incarne à la fois l’image de la pureté aux yeux de Des Grieux qui l'idéalise, mais aussi de la libertine.
Manon est une femme entretenue et non une “catin” ; elle fait preuve d’un érotisme torride auprès des hommes qu’elle mène par le bout du nez. Elle vend ses charmes seule ou sur l’incitation de son frère. Tous les deux goûtent au plaisir du libertinage. Rien n’est présenté de manière sordide, mais récréative. Les scènes d’amour ne sont jamais montrées, uniquement suggérées. On sait ainsi qu’elle accepte de s’offrir au plus offrant contre une rémunération en nature (bijoux, vêtements…) ou en numéraire (argent). Elle n’a aucun scrupule, tout est matière à réjouissance.
Manon est aussi perverse comme le démontre l’épisode de la lettre apportée par une jeune fille, qui se trouve livrée pour satisfaire les besoins de son amant. SI cette initiative choque bien Des Grieux, ce dernier s’enfonce toujours plus dans le libertinage.
Tromperies
Le libertinage de Des Grieux est en effet progressif. Ses réticences initiales relatives à l’infidélité de Manon vont finir par s'estomper. Il accepte la situation et profite en toute connaissance de cause des richesses obtenues par Manon. Il jouit du nouveau train de vie.
Pire, il entre dans le schéma de fonctionnement de sa maîtresse. Ainsi il participe activement aux mystifications. La tromperie est un élément du libertinage surtout lorsqu’elle vise à soutirer de l’argent de manière malhonnête et à ridiculiser dans le même temps la victime. On repense au vieux GM et à son fils. Des Grieux accepte de duper le jeune GM en l’enfermant, en mangeant son repas et en dormant dans son lit.
Des Grieux est appelé “libertin fieffé” non par vice comme ses contemporains, mais par amour pour Manon et c’est ce qui fait de lui un marginal. Le héros est devenu immoral par accident et il ne l’est pas par nature. Il transgresse donc la morale, mais pas seulement : il vit en marge de la religion.
En revoyant Manon, Des Grieux décide soudainement de quitter le séminaire de Saint-Sulpice. En fuyant, il rompt avec une carrière ecclésiastique qui lui aurait procuré la vie douce à laquelle il aspirait.
Comme les hommes de son temps, Des Grieux qui a été élevé chez les jésuites croit sans l’ombre d’un doute en Dieu, mais sa pratique religieuse s’avère réduite. Il est, en effet, tout à son inclinaison amoureuse qui lui tient d’idéal. Le héros voit son libre arbitre anéanti par ses passions : il est divisé.
Jamais il n’éprouve le moindre remords dans ses actions qu’il sait pourtant mauvaises. Il ment, triche, fait l’hypocrite… Il ne fait preuve d’aucun repentir ou d’humilité face à ce qui lui est arrivé. Il ne sollicite pas le Ciel pour l’aider pendant les évènements ou après.
En réalité, il croit en la fatalité d’un bonheur sur terre, destinée impossible qui conduit à un long malheur. Il n’envisage pas la question essentielle dans la foi de la Grâce (celle d’être secouru et racheté). Et pourtant, la mort est omniprésente dans ce roman puisqu’elle est annoncée de manière quasi mystique à plusieurs reprises.
Nous verrons dans l’article suivant la transgression pénale commise par les deux amants.
repère à suivre : la transgression pénale