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Analyse-Livres & Culture pour tous

Gazette littéraire

La philosophie morale et politique de La Bruyère

Parcours Comédie sociale : La Bruyère dans les Caractères est extrêmement pessimiste : l’homme est un être totalement artificiel. Sur le plan politique, l’auteur ne remet pas en question l’ordre existant tout en faisant preuve, à l’occasion, d’un certain non-conformisme pour l’époque : paradoxe du personnage.

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repère : la comédie sociale : présentation

 

Dans l’article précédent, nous avons expliqué le genre du livre. Aujourd’hui, nous  nous intéresserons à sa philosophie qui, disons-le, est particulièrement pessimiste.

Pessimisme moral

Il faut considérer que la philosophie de La Bruyère est extrêmement pessimiste : l’homme est un être artificiel : il ne cherche pas à réfléchir ou à penser par lui-même.

Au contraire, il mène une vie de désordre remplie de passions vaines ; il ne s’intéresse qu’aux choses matérielles notamment à l’argent et au pouvoir. Tout est dans l’apparence, dans les signes extérieurs de richesse ; l’homme essaye de se faire valoir quitte à endosser un rôle qui n’est pas le sien et à le jouer en société. Il est proprement …inhumain.

Sa déshumanisation résulte de ses vices et de ses ridicules que La Bruyère dévoile sans complaisance. Il décrit deux types d’hommes ;

  • l’homme universel brossé à partir de plusieurs personnages imaginaires ou non. C’est le même homme que l’on trouve sous différentes époques,
  • l’homme insaisissable à plusieurs facettes qui change pour suivre la mode.

 Dans l’extrait, on voit sa condamnation implacable :

 « 48

Les hommes n’ont point de caractère; ou, s’ils en ont, c’est celui de n’en avoir aucun qui soit suivi, qui ne se démente point, et où ils soient reconnaissables. Ils souffrent beaucoup à être toujours les mêmes, à persévérer dans la règle ou dans le désordre ; et s’ils se délassent quelquefois d’une vertu par un autre vertu, ils se dégoûtent plus souvent d’un vice par un autre vice. Ils ont des passions contraires et des faibles qui se contredisent ; il leur coûte moins de joindre les extrémités que d’avoir une conduite dont une partie naisse de l’autre. Ennemis de la modération, ils outrent toutes choses, les bonnes et les mauvaises, dont ne pouvant ensuite supporter l’excès, ils adoucissent par le changement. Adraste était si corrompu et si libertin, qu’il lui a été moins difficile de suivre la mode et se faire dévot : il lui eût coûté davantage d’être homme de bien."

La Bruyère, Les Caractères, de l'homme

Il ne reste à l’homme qu’à quitter la cour trop corrompue pour pouvoir se réformer. Il ne peut trouver son salut que dans la nature.

« I0I

(VI) La ville dégoûte de la province ; la cour détrompe de la ville, et guérit de la cour.

(I) Un esprit sain puise à la cour le goût de la solitude et de la retraite."

La Bruyère, Les Caractères, De la Cour

Philosophie politique

La Bruyère ne remet pas en question l’ordre politique et pourtant il fait également preuve d’un certain non-conformisme : paradoxe du personnage.

conservatisme

Il existe des différences de nature entre les hommes entraînant une inégalité politique entre eux. La monarchie absolue qui est l’œuvre de Dieu joue à cet égard un rôle d'unité. En pensant ainsi, La Bruyère ne formule donc aucune remise en question du pouvoir. Il fait même œuvre de prudence.

Mais dans sa vision politique, il observe le fossé entre les hommes et les trop grandes disparités entre eux : cette situation qu'il juge intolérable est le fait des hommes eux-mêmes. Le moraliste n'a pas assez de mots pour s'indigner des abus des Grands. 

L'auteur considère que l’ordre social est principalement menacé par le règne de l’argent qui corrompt tout. Ainsi déplore-t-il le fait que la noblesse vive un vrai déclin au profit de la montée en puissance de la bourgeoisie. Avec ses richesses, cette dernière accapare les offices et cherche à se faire une place dans les affaires du monde. Cette situation choque profondément La Bruyère qui regrette le temps où la noblesse, autrement moins corrompue, remplissait son rôle avec dignité et dans un esprit de service.

 «non-conformisme»

La Bruyère n’est pas qu’un conservateur, il peut aussi faire preuve de non-conformisme. Ainsi il critique moins l’homme en lui-même qu’un système particulier qui autorise des mœurs dissolues et corrompues : l’homme est incapable de se satisfaire de sa place assignée dans le monde. Il participe à une lutte âpre pour les honneurs et les pensions qui entraîne des liens biaisés, uniquement fondés sur l’intérêt.

Il n’y a pas a contrario de véritables relations humaines basées sur l’amitié et le bien commun. C'est donc une philosophie pessimiste.

Il faut remettre Les Caractères dans le contexte de l'époque : cette critique féroce est partagée par bon nombre de moralistes. Cette pensée n’est donc pas, à ce titre, une singularité. 

En quoi peut-on cependant dire que cette œuvre est originale ?

L’originalité du livre réside dans le fait de mettre en relief le hiatus entre les grandes affirmations de l’homme et sa conduite, entre le mot et le geste en somme. Il s’agit donc de deux choses qui ne vont pas de pair. D’où les critiques sur les hypocrites qui peuplent le monde …

Nous verrons dans les articles ultérieurs que ce non-conformisme n'a pas poussé La Bruyère à embrasser la cause des Modernes dans la querelle des Anciens.

Nous achèverons bientôt notre présentation par l’analyse des registres littéraires.

Repère à suivre : L’argumentation et le registre littéraire 

Sources :

Jean-Michel Delacomptée, La Bruyère, portrait de nous-mêmes, Robert Lafon (2019)

B. Roukhomsky, L’esthétique de La Bruyère, société d’édition d’enseignement supérieur (1997)

Doris Kirsch, La Bruyère ou le style cruel, Presse de l’université de Montréal, 1976

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