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Analyse-Livres & Culture pour tous

Gazette littéraire

L’argumentation et les registres littéraires des Caractères 

Parcours Comédie sociale : La Bruyère fait entrer les Caractères dans la littérature d’idées ; trois registres principaux se détachent de la lecture : le didactique, le satirique et le polémique.

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repère : la comédie sociale : présentation

Dans l’article précédent, nous avons défini le genre du livre ; il reste à aborder le type d’argumentation et les registres littéraires.

Argumentation indirecte

Il convient de considérer que Les Caractères de La Bruyère entrent dans ce qu’on appelle la littérature d’idées. Cela signifie que l’auteur cherche à faire passer une argumentation dans son ouvrage.

Avec son art du portrait, l’auteur a choisi d’exposer son argumentation de manière indirecte.

La Bruyère a, en effet, pour objet littéralement de « peindre les hommes » à l’image des artistes. Cette manière de faire correspond à une mode en vogue dans les salons littéraires.

Mais l’originalité de ses portraits ou de ses remarques repose sur une profonde observation du détail menant à une morale.

Cet ouvrage fait naître une galerie de portraits qu’il faut savoir analyser. L’auteur donne à voir sa pensée au travers de procédés stylistiques savants : le premier d’entre tous étant de critiquer avec une économie de moyens comme nous le verrons dans les articles suivants. Il nous reste à mettre en relief  les registres.

Registres

Qu’est-ce qu’un registre ? Il nous renseigne sur la manière choisie par l’écrivain de faire passer son message. Ainsi les descriptions des mœurs du XVIIe siècle convoquent dans les Caractères notre capacité à rire, à nous émouvoir, et à nous indigner. On est clairement dans le cadre des sentiments et non de la raison. C’est donc que La Bruyère tente de nous persuader et non de nous convaincre.

Par ailleurs dans cet art de persuader, il ne cherche pas à plaire : ses portraits sont sans concession. D’ailleurs dans sa préface, il réfute toute forme de démagogie :

« L’orateur et l’écrivain ne sauraient vaincre la joie qu’ils ont d’être applaudis ; mais ils devraient rougir d’eux-mêmes s’ils n’avaient cherché par leurs discours ou par leurs écrits que des éloges ; (…) »

Nous verrons trois grands registres dans cette œuvre :

  • Le registre didactique,
  • Le registre satirique,
  • Le registre polémique.
Didactique

L’auteur se fonde principalement sur le registre didactique. Ce terme signifie que l’on cherche à instruire et à éduquer le lecteur. Ceci est indiqué au tout début de sa préface :

« Je rends au public ce qu’il m’a prêté ; j’ai emprunté de lui la matière de cet ouvrage : il est juste que, l’ayant achevé avec toute l’attention pour la vérité dont je suis capable, et qu’il mérite de moi, je lui en fasse la restitution. Il peut regarder avec loisir ce portrait que j’ai fait de lui d’après nature, et s’il se connaît quelques-uns des défauts que je touche, s’en corriger. C’est l’unique fin que l’on doit se proposer en écrivant, et le succès aussi que l’on doit moins se promettre ; mais comme les hommes ne se dégoûtent point du vice, il ne faut pas aussi se lasser de leur reprocher : ils seraient peut-être pires, s’ils venaient à manquer de censeurs ou de critiques ; (…) On ne doit parler, on ne doit écrire que pour l’instruction ; »

La Bruyère, Préface

Il existe un autre registre, c’est celui du satirique.

Satire

La Bruyère cherche à nous instruire en suivant les règles de la conversation dont on a vu dans l’article précédent qu’elle est un art dans l’esprit des salons du XVIIe siècle. Mais il le fait par le biais de l’humour satirique qui consiste à critiquer en se moquant. Il s’exprime ainsi :

« 4

(…) Pour badiner avec grâce, et rencontrer heureusement sur les plus petits sujets, il faut trop de manières, trop de politesse, et même trop de fécondité : c’est créer que de railler ainsi, et faire quelque chose de rien. »

La Bruyère, Les Caractères, De la société et de la conversation

Badiner implique la raillerie, soit l’art de se moquer avec des remarques pleines d’esprit, des « saillies ». Le livre de La Bruyère regorge de ces morceaux d’humour comme celui-ci :

« 2

Vous voulez, ajoute Démocède, voir mes estampes ? » et bientôt il les étale et vous les montre. Vous en rencontrez une qui n’est ni noire, ni nette, ni dessinée, et d’ailleurs moins propre à être gardée dans un cabinet qu’à tapisser, un jour de fête, le Petit-Pont ou la rue Neuve (…) »

La Bruyère, Les Caractères, De la mode

La satire vise à montrer les ridicules et les vices de l’homme. Il emploie aussi un registre polémique.

Polémique

À côté de ces deux registres, il existe des fragments où La Bruyère laisse s’exprimer son indignation. Il le fait lorsqu’il cherche à montrer que les valeurs professées par l’homme ne sont pas en adéquation avec leurs actes. Il vous est proposé de lire le plus célèbre passage où l’on ressent le vibrant plaidoyer de l’auteur pour une catégorie oubliée … le peuple :

« 25

Si je compare ensemble les deux conditions des hommes les plus opposées, je veux dire les grands avec le peuple, ce dernier me paraît content du nécessaire, et les autres sont inquiets et pauvres avec le superflu. Un homme du peuple ne saurait faire aucun mal ; un grand ne veut faire aucun bien, et est capable de grands maux. L’un ne se forme et ne s’exerce que dans les choses qui sont utiles ; l’autre y joint les pernicieuses. Là se montrent ingénument la grossièreté et la franchise ; ici se cache une sève maligne et corrompue sous l’écorce de la politesse. Le peuple n’a guère d’esprit, et les grands n’ont point d’âme : celui-là a un bon fond, et n’a point de dehors ; ceux-ci n’ont que des dehors et qu’une simple superficie. Faut-il opter ? Je ne balance pas : je veux être peuple. »

La Bruyère, Les Caractères, Des Grands

On peut noter le non-conformisme de l’écrivain tourné vers une catégorie de la population tenue pour portion négligeable. Dans l’article suivant, nous verrons la réception de l’œuvre.

Repère à suivre : de l’anonymat à la signature par La Bruyère des « Caractères »

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