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Analyse-Livres & Culture pour tous

Gazette littéraire

Plan de l'analyse linéaire du prologue de "Gargantua" de Rabelais

L'analyse linéaire du prologue de Gargantua de Rabelais traite en premier lieu de l'invitation joyeuse faite par l'auteur au lecteur avant de se fonder sur une stratégie argumentative.

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Repères : rire et savoir (Gargantua) : étude

Dans l'article précédent, nous avons procédé à la lecture du Prologue de Gargantua en nous fondant sur la méthode de la Gazette littéraire basée sur l'acronyme des 6 GROSSES  CLEFS. Nous avons utilisé des codes couleur pour examiner le texte sous 6 angles (grammaire, oppositions, 5 sens, conjugaison, champ lexical et figures de style).

Pour vous aider à suivre, il vous est conseillé d'ouvrir dans une autre fenêtre le texte colorié et de suivre en parallèle le plan détaillé qui suit : on rappelle qu'il ne s'agit que d'un extrait qui part du début "buveurs très illustres" pour s'achever à "la vie économique".

Plan

Il est donc grand temps de tirer des analyses de notre lecture qui a suivi le déroulé du texte, lui-même découpé en paragraphes. Nous avons élaboré un plan linéaire en deux parties : la première a trait à l'invitation joyeuse faite par l'auteur au lecteur ; la seconde se fonde sur une stratégie argumentative qui relève du registre didactique.

1. Une invitation joyeuse

Le premier paragraphe du prologue prend la forme d’un discours de Rabelais qui entretient le lecteur du célèbre texte philosophique de Platon, le Banquet. Il s’agit ainsi d’un discours d’un auteur qui rapporte les propos de Platon qui les tient lui-même de Socrate qui rapporte enfin les propos d’un convive, Alcibiade. Il faut y voir un prologue placé sous le signe du festif tout comme un hommage de la Renaissance à l’Antiquité.

a. Un discours comique

Ce discours est placé sous les auspices de la fête avec le banquet, la boisson, la moquerie. Le discoureur se veut aussi un joyeux convive avec ses interpellations familières et l’opposition entre vous/je. Ce n’est pas à des purs esprits qu’il s’adresse, mais à des humains, vus comme des jouisseurs de la vie, aimant rire et se divertir (« buveurs très illustres » et ayant une sexualité avec « vérolés très précieux » c’est-à-dire la syphilis (maladie à la fois contagieuse et incurable très courante au XVIe siècle). L’auteur forme ainsi deux oxymores produisant un effet comique. Le premier registre se veut aussi comique par le biais de fourmillement de détails par des adjectifs qualificatifs épithètes hyperboliques.

La longueur des propositions faites d’incises « non aux autres », de subordonnées « que sont dédiés mes écrits » donne l’apparence d’un discours non préparé, spontané comme à un banquet où l’on porterait un toast. La rhétorique de Rabelais semble aussi laborieuse avec les nombreuses références données « comme le dit », de jugements subjectifs « prince des philosophes ». Cela  donne une fausse impression de lourdeur et d’impréparation comme on le verra par la suite.

b. Une référence à l’Antiquité

Les propos a priori sans logique partent d’une digression portant sur une simple boîte avec un couvercle. Il s’agit en réalité d’une savante métaphore filée, menant à une véritable démonstration qui part d’un objet créé par l’homme pour aboutir à un éloge de Socrate. Rabelais s’appuie sur un matérialisme prosaïque, une boîte de pharmacie, pour aboutir à une leçon philosophique tirée de l’Antiquité.

Sur le premier point, on découvre le champ lexical de la médecine (que pratiquait l’auteur) : «apothicaire » « drogues » « baume » "vérolés ". Cela revient à dire que le discours peut soigner, c'est-à-dire éduquer l’homme.

Dans le cadre de sa démonstration joyeuse, Rabelais offre de nombreuses énumérations donnant un rythme plein de vie et de légèreté à son discours. S'agissant de cette vitalité, il recourt à un bestiaire faisant naître une opposition entre des animaux mythologiques et des animaux réels amoindris ou recréés. Le bestiaire est étiré pour faire apparaître le parallèle incongru entre Socrate et un taureau. La description physique et sociale de Socrate se veut aussi comique par son côté exagérément péjoratif : «  fou » « inapte ».

c. Un savoir humaniste

On entre ainsi dans un registre moins léger et plus didactique : le champ lexical du savoir est en effet omniprésent avec « divin savoir », « écrits », « précepteur ». On a vu que ce passage adopte un ton qui est en apparence badin à l’image du sens de la vue, sens trompeur ainsi convoqué.

On assiste ainsi à une rupture du propos quittant le superficiel avec la conjonction de coordination « mais » pour conduire à un sujet plus profond avec le sens du toucher « ouvrant ». C’est alors que l’opposition entre l’extérieur et l’intérieur de la boite/philosophe prend tout son sens : Socrate devient alors l’archétype du sage qui s’oppose par son activité de la pensée traduite par des adjectifs ou locutions laudatives et hyperboliques « merveilleuse, invincible, sans pareille, parfait, certain… » aux hommes perdus dans leurs activités mercantiles et désordonnées « perdent le sommeil, courent, travaillent, naviguent et bataillent tant. »

C’est l’occasion pour Rabelais d’user de la rhétorique des contrastes entre jadis/présent, le corps/âme et Socrate/ les hommes. Il s’appuie en outre sur des énumérations, des hyperboles par le truchement de comparatifs et de superlatifs. Mais la principale opposition qui sous-tend le texte, c’est celle du rire face au sérieux.

La rhétorique s’appuie également sur l’usage de différents temps, le présent de l’interpellation « je dédie » mais aussi de la vérité générale « veillent, travaillent…. ». L’humanisme de Rabelais convoque les textes de l’Antiquité dont il fait deux expresses références avec force détails : il a besoin pour ce faire de recourir à l’imparfait et au plus-que-parfait. Mais ce n’est pas pour laisser le lecteur en dehors du propos : il l’interpelle directement en recourant au mode conditionnel «vous n’en auriez pas donné».

Ce premier paragraphe exposé s’éloigne en apparence de l’idée que l’on se fait d’un avant-propos, ainsi que le rappelle Rabelais dans le deuxième paragraphe.

2. Une stratégie argumentative

Rabelais cherche dans les prochains paragraphes à tirer un enseignement de ce qu’il vient d’énoncer. On entre dans un autre registre, celui didactique, mais qui est toujours savamment lié au registre comique.

a.  Une connivence avec le lecteur

Pour ce faire, il pose une question formelle « à quoi », il nous aide à chercher le but du discours développé dans le premier paragraphe. D’ailleurs ce qui précède est vu comme un « prélude » du prologue, à savoir étymologiquement un avant/jeu, un moment avant le jeu. On reste toujours dans le champ lexical du divertissement. A ce mot, il oppose le « coup d’essai » : on entre maintenant dans le cadre d’une démonstration à visée proprement argumentative.

L’auteur entend interpeller une nouvelle fois le lecteur. On retrouve l’opposition  entre  « vous » et « je ». Mais une connivence s’instaure puisque les « buveurs » et « vérolés » deviennent «mes disciples » : on note la gradation ascendante faisant entrer le lecteur dans une intimité plus étroite avec l'auteur. Avec « mes bons disciples», il s’agit de valoriser des personnes qui partagent les mêmes idées philosophiques.

Rabelais distingue le lecteur d’une autre catégorie : les  « fous oisifs ». Ce terme fait référence à Érasme, un célèbre humaniste, auteur de l'ouvrage Eloge de la folie aux termes duquel il montre que la folie aux yeux des hommes constitue en réalité la vraie sagesse sur le plan philosophique. Là encore, Rabelais use d'un oxymore pour donner du contraste : la folie étant associée à la mobilité alors que la sagesse à l’étude relève plutôt de l’immobilité « oisiveté ».  On notera que cette catégorie est indéfinie «quelques autres » et peu nombreuse. On est donc sur un éloge du vrai savoir qui s'effectue par le biais de la la lecture.

b. Un éloge de la lecture

On retrouve aussi la métaphore filée de la boîte de pharmacie avec l’opposition intérieure et extérieure : le contenant « la boîte » et le contenu « la drogue ». Mais c’est cette fois pour l’appliquer au livre selon l'exposé qui va suivre. Ce faisant, Rabelais crée une opposition entre le titre « enseigne extérieure » et le contenu de l’ouvrage « œuvres des hommes ».

C’est encore par l’effet du comique que Rabelais attire notre attention. Il choisit des procédés énumératifs qui mélange pêle-mêle des ouvrages réels de l’auteur avec des livres imaginaires : le champ lexical de la paillardise est convoqué : « fesses » « braguettes». À cela s’ajoute le goût du terroir avec « pois aux lards ». On est dans un domaine prosaïque des choses du corps, de la vie proprement humaine.

Cette argumentation repose aussi sur des locutions conjonctives : « c’est qui », « c’est pourquoi», « alors », ce qui est cohérent avec l’éloge du savoir résultant de la lecture des « traités », « livres » ,« matières ». La lecture exige un travail de la part du lecteur : il doit se livrer à l'interprétation du texte.

c. Une interprétation de la lecture

Rabelais propose deux formes d’interprétation contraires celle « littérale » et celle « allégorique» sans jamais choisir entre les deux. On voit l’ambiguïté de l’auteur sur la question qui a alimenté de nombreux débats. Il laisse le lecteur se faire sa propre opinion avec le participe présent « en admettant que ». Néanmoins, il le met en garde sur le risque d’erreur qui peut être commise en recourant au sens trompeur, cette fois celui de l’ouïe « chant des sirènes ».

On assiste à une rupture du discours par une nouvelle interpellation comique de l’auteur à son lecteur. « Canaille ! ». L’exclamation porte sur un terme familier volontiers outrancier qui a pour objet de maintenir son attention en éveil.

Dans une forme de continuité, Rabelais reprend trois thèmes déjà abordés, celui de la boisson  «une bouteille», celui du bestiaire avec le chien et enfin celui du texte de Platon, tiré cette fois de son ouvrage politique, La République.

L’auteur offre une longue digression à l’aide d’interrogations purement rhétoriques « qui le pousse... » « quel est l’espoir ...»  « Quel bien .. ». Il capte ainsi l'attention de son lecteur en devançant ses questions. Il crée artificiellement un dialogue qui est bien fictif.

L’évocation de cet épisode de l'Antiquité permet de faire un habile parallèle entre l’animal et l’homme. Ce lien est étroit puisque l’on note une personnification du chien réputé « philosophe » avant qu’il n’adopte des attitudes purement humaines avec l’énumération des noms tels que «dévotion », « prudence » « passion ».

La recherche du chien porte donc sur la « moelle » de l’os avec le sens vrai du toucher « tient ». Cet os devient une métaphore, « rompre l'os et sucer la substantifique moelle » sur laquelle Rabelais s’appuie à trois reprises :  « À son exemple », «  c'est-à-dire », « je signifie » : il nous invite à une lecture savante nécessitant efforts et temps : « lecture attentive et une méditation assidue ».

C’est par cette méthode que l’homme accède à un authentique savoir que Rabelais juge double, à la fois religieux : «  doctrine », «sacrements », «religion », mais aussi  philosophique : «état de la cité » et politique « la gestion des affaires ».

Repère à suivre : thème de l'éducation : chapitre 14

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