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Analyse-Livres & Culture pour tous

Gazette littéraire

Lecture analytique du prologue de « Gargantua » de Rabelais

Il vous est proposé d’analyser le début du prologue de Gargantua de Rabelais en effectuant une lecture intelligente du texte au moyen de la méthode des GROSSES CLEFS ©.  Découvrons-la dans le détail, si vous le voulez bien.

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Rabelais

 

Repères : rire et savoir (Gargantua) : étude

Dans l’article précédent, nous avons présenté le parcours Rire et Savoir, conforme au programme officiel du bac de français. Aujourd’hui, nous verrons que le prologue comporte les deux registres en son sein.

Prologue

Qu’est-ce qu’un prologue ? Il s’agit d’un avant (pro)-propos (logos), c’est-à-dire d'un texte que l’auteur a placé avant son ouvrage proprement dit afin d’avertir le lecteur des objectifs qu’il a poursuivis. En l’espèce, Rabelais s’adresse directement à son lecteur pour l’inviter à lire sérieusement son livre au-delà des apparences du propos léger.

Ce texte est intéressant à étudier, car il entre  totalement dans la stratégie argumentative mêlant rire et savoir.

Lecture

La lecture du prologue part si vous le voulez bien de "buveurs très illustres" jusqu'à "la vie économique". Pour lire cet extrait, il vous est proposé d’utiliser la méthode de la Gazette littéraire. Il vous suffit d’utiliser des crayons de couleurs pour faire surgir dans le texte des points à commenter. Il s’agit de prendre le texte sous six angles à l'aide du moyen mnémotechnique suivant : 

                           6           GROSSES                                      CLEFS

 

Gr : grammaire                               C : Conjugaison

OS : oppositions                            le : champ lexical 

SE : les 5 sens                            FS : figures de style

 

Vous pourrez ci-dessous découvrir la lecture « coloriée » de cet extrait de prologue avant que nous puissions voir ensemble les points saillants dans l’article suivant.

« Buveurs très illustres, et vous vérolés très précieux, car c'est à vous, non aux autres, que je dédie mes écrits, Alcibiade, dans un dialogue de Platon intitulé le Banquet, faisant l'éloge de son précepteur Socrate, sans conteste le prince des philosophes, déclare entre autres choses qu'il est semblable aux silènes. Les Silènes étaient jadis de petites boites, comme celles que nous voyons à présent dans les boutiques des apothicaires, sur lesquelles étaient peintes des figures drôles et frivoles : harpies, satyres, oisons bridés, lièvres cornus, canes batées, boucs volants, cerfs attelés, et autres figures contrefaites à plaisir pour inciter les gens à rire (comme le fut Silène, maître du Bacchus). Mais à l'intérieur on conservait les drogues fines, comme le baume, l'ambre gris, l'amome, la civette, les pierreries et autres choses de prix. Alcibiade disait que Socrate leur était semblable, parce qu'à le voir du dehors et à l'évaluer par l'aspect extérieur, vous n'en auriez pas donné une pelure l'oignon, tant il était laid de corps et d'un maintien ridicule, le nez pointu, le regard d'un taureau, le visage d'un fou, le comportement simple, les vêtements d'un paysan, de condition modeste, malheureux avec les femmes, inapte à toute fonction dans l'état ; et toujours riant, trinquant avec chacun, toujours se moquant, toujours cachant son divin savoir. Mais en ouvrant cette boite, vous y auriez trouvé une céleste et inappréciable drogue : une intelligence plus qu'humaine, une force d'âme merveilleuse, un courage invincible, une sobriété sans égale, une égalité d'âme sans faille, une assurance parfaite, un détachement incroyable à l'égard de tout ce pour quoi les humains veillent, courent, travaillent, naviguent et bataillent.

A quoi tend, à votre avis, ce prélude et coup d'essai ? C'est que vous, mes bons disciples, et quelques autres fous oisifs, en lisant les joyeux titres de quelques livres de votre invention, comme Gargantua, Pantagruel, Fesse pinte, La dignité des braguettes, des pois au lard avec commentaire, etc., vous pensez trop facilement qu'on n'y traite que de moqueries, folâtreries et joyeux mensonges, puisque l'enseigne extérieure est sans chercher plus loin, habituellement reçue comme moquerie et plaisanterie. Mais il ne faut pas considérer si légèrement les œuvres des hommes. Car vous-mêmes vous dites que l'habit ne fait pas le moine, et tel est vêtu d'un froc qui au-dedans n'est rien moins que moine, et tel est vêtu d'une cape espagnole qui, dans son courage, n'a rien à voir avec l'Espagne. C'est pourquoi il faut ouvrir le livre et soigneusement peser ce qui y est traité. Alors vous reconnaîtrez que la drogue qui y est contenue est d'une tout autre valeur que ne le promettait la boite : c'est-à-dire que les matières ici traitées ne sont pas si folâtre que le titre le prétendait.

Et en admettant que le sens littéral vous procure des matières assez joyeuses et correspondant bien au titre, il ne faut pourtant pas s'y arrêter, comme au chant des sirènes, mais interpréter à plus haut ses ce que hasard vous croyiez dit de gaieté de cœur.

Avez-vous jamais crocheté une bouteille ? Canaille ! Souvenez-vous de la contenance que vous aviez. Mais n'avez-vous jamais vu un chien rencontrant quelque os à moelle ? C'est, comme dit Platon au livre II de la République, la bête la plus philosophe du monde. Si vous l'avez vu, vous avez pu noter avec quelle dévotion il guette son os, avec quel soin il le garde, avec quelle ferveur il le tient, avec quelle prudence il entame, avec quelle passion il le brise, avec quel zèle il le suce. Qui le pousse à faire cela ? Quel est l'espoir de sa recherche ? Quel bien en attend-il ? Rien de plus qu'un peu de moelle. Il est vrai que ce peu est plus délicieux que le beaucoup d'autres produits, parce que la moelle est un aliment élaboré selon ce que la nature a de plus parfait, comme le dit Galien au livre 3 Des Facultés naturelles et IIe de L'Usage des parties du corps.

A son exemple, il vous faut être sages pour humer, sentir et estimer ces beaux livres de haute graisse, légers à la poursuite et hardis à l'attaque. Puis, par une lecture attentive et une méditation assidue, rompre l'os et sucer la substantifique moelle, c'est-à-dire - ce que je signifie par ces symboles pythagoriciens - avec l'espoir assuré de devenir avisés et vaillants à cette lecture. Car vous y trouverez une bien autre saveur et une doctrine plus profonde, qui vous révèlera de très hauts sacrements et mystères horrifiques, tant sur notre religion que sur l'état de la cité et la gestion des affaires. »

Repère à suivre : analyse linéaire du prologue de Gargantua

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