Analyse-Livres & Culture pour tous
25 Novembre 2020
Dans le personnage de Vautrin, personnage trouble de la Comédie humaine, nous verrons la valse de ses identités, son apparence physique altérée, son origine sociale ainsi que son homosexualité qui est à peine voilée.
Repères : la Comédie humaine : analyse
Dans l’article précédent, nous avons évoqué le cas Vautrin au travers du plan d’analyse suivant :
-La leçon de Vautrin à Rastignac,
-Le pacte entre l’abbé Herrera et Lucien de Rubempré.
Aujourd’hui, nous nous intéresserons à la personnalité trouble de ce personnage balzacien. Nous verrons la valse de ses identités, son apparence physique altérée, son origine sociale et son homosexualité qui est à peine voilée.
C’est le seul personnage de la somme romanesque qui apparaît sous différentes identités : Jacques Collin, alias Trompe-la-Mort et alias Vautrin (Le père Goriot, Splendeurs et misères des courtisanes) avant d’incarner l’abbé Herrera, prêtre jésuite espagnol (les Illusions perdues, Splendeurs et misères des courtisanes).
Ce changement de noms est consécutif à sa double évasion du bagne. Son retour à Paris implique de faire oublier la précédente identité pour lui permettre de reprendre ses activités délictueuses.
Il s’agit d’un homme dont la description physique est entreprise de manière réaliste à l’aide de nombreux détails qui concernent d’abord son allure générale, avant de la focalisation sur divers éléments saillants de son corps. Vautrin a pris soin de modifier son apparence en recourant à des procédés radicaux ainsi que nous le verrons.
Ce qui saute de prime abord, c’est sa carrure incroyable qui est distinguée à trois reprises. Dans le premier extrait, il est Vautrin, pensionnaire privilégié de la maison Vauquer :
« (…) l’homme de quarante ans, à favoris peints, servait de transition. Il était de ces gens dont le peuple dit : « Voilà un fameux gaillard ! » Il avait les épaules larges, le buste bien développé, les muscles apparents, des mains épaisses, carrées et fortement marquées aux phalanges par des bouquets de poils touffus et d’un roux ardent. Sa figure, rayée par des rides prématurées, offrait des signes de dureté que démentaient ses manières souples et liantes. Sa voix de basse taille, en harmonie avec sa grosse gaieté, ne déplaisait point. Il était obligeant et rieur. »
Balzac, Père Goriot
Il s’avère que Vautrin est devenu l’abbé Herrera à la fin des Illusions perdues.
Échappé une nouvelle fois du bagne, il rencontre le vrai abbé Herrera qu’il tue avant d’endosser son identité.
Vautrin change alors de physionomie sans que l’on sache à ce stade le détail de cette transformation. Pour l’heure, nous avons une description qui se fonde sur le caractère imposant de l’homme
« L’abbé Carlos Herrera n’offrait rien en lui-même qui révélât le Jésuite. Gros et court, de larges mains, un large buste, une force herculéenne, un regard terrible, mais adouci par une mansuétude de commande ; un teint de bronze qui ne laissait rien passer du dedans au dehors, inspiraient beaucoup plus la répulsion que l’attachement. De longs et beaux cheveux poudrés à la façon de ceux du prince de Talleyrand donnaient à ce singulier diplomate l’air d’un évêque, et le ruban bleu liséré de blanc auquel pendait une croix d’or indiquait d’ailleurs un dignitaire ecclésiastique. Ses bas de soie noire moulaient des jambes d’athlète. Son vêtement d’une exquise propreté révélait ce soin minutieux de la personne que les simples prêtres ne prennent pas toujours d’eux, surtout en Espagne. Un tricorne était posé sur le devant de la voiture armoriée aux armes d’Espagne. Malgré tant de causes de répulsion, des manières à la fois violentes et patelines atténuaient l’effet de la physionomie ; »
Balzac, Les Illusions perdues, 3e partie
Il faut attendre Splendeurs et misères des courtisanes pour mesurer l’importance des transformations effectuées par Vautrin.
Son visage a subi une altération visible à l’aide du vitriol.
Mais c’est surtout le marquage sur sa peau de bagnard ( T.F soit travaux forcés ) qui a disparu.
Voyez l’examen médical auquel se soumet le prévenu :
« Sur un signe du juge, le prévenu fut déshabillé, on lui laissa son pantalon, mais on le dépouilla de tout, même de sa chemise ; et alors, on put admirer un torse velu d’une puissance cyclopéenne. C’était l’Hercule Farnèse de Naples sans sa colossale exagération.
— À quoi la nature destine-t-elle des hommes ainsi bâtis ?… dit le médecin à Camusot.
L’huissier revint avec cette espèce de batte en ébène qui, depuis un temps immémorial, est l’insigne de leur fonction et qu’on appelle une verge ; il en frappa plusieurs coups à l’endroit où le bourreau avait appliqué les fatales lettres. Dix-sept trous reparurent alors, tous capricieusement distribués ; mais, malgré le soin avec lequel on examina le dos, on ne vit aucune forme de lettres. Seulement l’huissier fit observer que la barre du T se trouvait indiquée par deux trous dont l’intervalle avait la longueur de cette barre entre les deux virgules qui la terminent à chaque bout, et qu’un autre trou marquait le point final du corps de la lettre.
— C’est néanmoins bien vague, dit Camusot en voyant le doute peint sur la figure du médecin.
Carlos demanda qu’on fît la même opération sur l’autre épaule et au milieu du dos. Une quinzaine d’autres cicatrices reparurent que le médecin observa sur la réclamation de l’Espagnol, et il déclara que le dos avait été si profondément labouré par des plaies, que la marque ne pourrait reparaître dans le cas où l’exécuteur l’y aurait imprimée. »
Balzac, Splendeurs et misères des courtisanes, 3e partie
Origine sociale
On ne connaît pas l'exacte origine sociale de Jacques Collin. On sait seulement qu’il a été éduqué chez les oratoriens et condamné au bagne pour faux.
Il parle à la fois le langage des bagnards et celui policé d’un prêtre.
Son intelligence lui a permis de percer dans le milieu parisien interlope tout comme celui de la police.
Il sait tout, voit tout, gère les crises avec un sang-froid et une analyse fine.
Balzac aborde ce sujet rarement évoqué dans la littérature au XIXe siècle.
Vautrin est attiré par la beauté des jeunes hommes, ce qui le conduira au bagne la première fois.
C’est cette attirance qui le mène à entreprendre vainement Rastignac comme nous le verrons dans un prochain article.
En revanche, les sentiments éprouvés pour Lucien de Rubempré qui sont nés au premier regard donnent lieu à un pacte faustien :
« En entendant Lucien qui sauta de la vigne sur la route, l’inconnu se retourna, parut comme saisi de la beauté profondément mélancolique du poète, de son bouquet symbolique et de sa mise élégante. Ce voyageur ressemblait à un chasseur qui trouve une proie longtemps et inutilement cherchée. Il laissa, en style de marine, Lucien arriver, et retarda sa marche en ayant l’air de regarder le bas de la côte."
Balzac, Les Illusions perdues, 3e partie
Rapidement, Lucien sait à quoi il s’engage : il vient ni plus, ni moins, de signer un pacte diabolique comme il l’écrit aussitôt à sa sœur, Ève :
« Ma chère sœur, voici quinze mille francs.
» Au lieu de me tuer, j’ai vendu ma vie. Je ne m’appartiens plus : je suis le secrétaire d’un diplomate espagnol.
» Je recommence une existence affreuse. Peut-être aurait-il mieux valu me noyer.
» Adieu. David sera libre, et, avec quatre mille francs, il pourra sans doute acheter une petite papeterie et faire fortune.
» Ne pensez plus, je le veux, à
» Votre pauvre frère, » Lucien. »
Balzac, Les Illusions perdues, 3e partie
Source :
F. Marceau, Balzac et son monde, Tel Gallimard
repère à suivre : Vautrin, un personnage secondaire ?