Analyse-Livres & Culture pour tous
23 Novembre 2020
Ce n’est qu’en 1840 que Balzac fixe le nom de son œuvre monumentale. Ce sera la « Comédie » humaine qui n’a rien de drôle ou de comique en soi, à l’exception des contes drolatiques d’influence rabelaisienne. C’est davantage le sens tiré de la dissimulation et de la feinte qui est au cœur du projet romanesque. Pour Balzac, ce n’est pas la vérité qui l’intéresse, mais « l’auguste mensonge ».
Repères : la Comédie humaine : présentation
Dans l’article précédent, nous avons présenté les origines de cette somme romanesque. Nous analyserons aujourd’hui les différents noms donnés à l’ensemble avant que le terme « comédie » ne s’impose à Balzac. Ce sera aussi l’occasion de déterminer le sens précis de ce terme rapporté à une œuvre monumentale qui se trouve face à une double dualité : réalité/apparence et vérité/mensonge.
Balzac a présenté son œuvre en 1828 sous une terminologie différente de celle que nous lui connaissons aujourd’hui. Dans l’avertissement de son premier roman intitulé, le Gars, devenu Les Chouans, l'écrivain nous prévient de la constitution à venir d’une œuvre d’ampleur qu’il voit alors sous la forme d’une Histoire de France pittoresque. À l’instar de Walter Scott, il projette de narrer notamment la vie de Catherine de Médicis, des luttes entre les Armagnacs et les Bourguignons etc… Mais ce projet sera abandonné pour une somme plus ambitieuse dont le nom n’est pas définitif.
En 1834, il pense au titre Études sociales pour englober une cinquantaine de romans qu’il a en tête. Mais il faut attendre 1840 pour que la terminologie Comédie humaine s’impose à lui. Quelles sont donc les références qui sous-tendent ce titre ?
On sait que Balzac, dans une préface du livre mystique, fait référence à la Divine Comédie de Dante (14e siècle). On précisera que ce chef-d’œuvre se décompose en trois livres :
Balzac est familier de ces notions ; il emploie souvent le terme enfer lorsqu’il évoque la vie parisienne.
Mais c’est à Molière qu’il pense explicitement lorsqu'il choisit définitivement le nom de sa somme romanesque.
« Si Molière existait de nos jours, il écrirait la Comédie humaine. » (Lettres à madame Hanska, tome 2, page 270, la Pléiade).
Dans son Avant-propos, il y fait une nouvelle fois référence :
« Peu d’œuvres donne beaucoup d’amour-propre, beaucoup de travail donne infiniment de modestie. Cette observation rend compte des examens que Corneille, Molière et autres grands auteurs faisaient de leurs ouvrages : s’il est impossible de les égaler dans leurs belles conceptions, on peut vouloir leur ressembler en ce sentiment. »
Mais quelle est cette "comédie" dont Balzac a entendu faire sienne ?
Il ne s’agit pas à proprement parler d’une comédie, c’est à dire un genre littéraire (une pièce de théâtre) ou d’un registre littéraire (comique). C’est pourquoi le terme peut prêter à confusion. Pour comprendre, il faut recourir à un autre sens lié à la feinte et à la dissimulation. La Comédie humaine s’emploie à décrire, en effet, les mœurs d’une époque. C’est en cela qu’elle s’incarne dans le courant du réalisme dont Balzac devient, sans le savoir, un des précurseurs.
« L’immensité d’un plan qui embrasse à la fois l’histoire et la critique de la Société, l’analyse de ses maux et la discussion de ses principes, m’autorise, je crois, à donner à mon ouvrage le titre sous lequel il paraît aujourd’hui : La Comédie humaine. Est-ce ambitieux ? N’est-ce que juste ? C’est ce que, l’ouvrage terminé, le public décidera. »
Balzac, Avant-propos à la Comédie humaine,
https://fr.wikisource.org/wiki/Avant-Propos_de_La_Com%C3%A9die_humaine
On se trouve en face d’une double dualité : réalité/apparence et vérité/mensonge.
Balzac est influencé par Rousseau, philosophe du XVIIIe siècle, lequel considère que la société dénature l’homme et le contraint à la dissimulation. C’est justement cette mise en scène de l’homme en société que l’écrivain décrit et perce à jour au travers de la Comédie humaine. Ce n’est pas la vérité qui l’intéresse, mais « l’auguste mensonge ».
Dans l’article suivant, nous verrons la portée de l’œuvre qui navigue dans un pessimisme lequel ne saurait faire échec à une lueur d’optimisme.
Repère à suivre : la portée morale de l’œuvre
Sources :
Anne-Marie Meininger, Notes de l’avant-propos, éditions la Pléiade, tome 1
Castex, l’univers de « la Comédie humaine », La Pléiade, tome 1
Balzac, Avant-propos à la Comédie humaine,
https://fr.wikisource.org/wiki/Avant-Propos_de_La_Com%C3%A9die_humaine
Comédie : Larousse : Manifestation hypocrite de sentiments qu'on n'éprouve pas réellement ; feinte, dissimulation
https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/com%C3%A9die/17415