Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Analyse-Livres & Culture pour tous

Gazette littéraire

Le style de Balzac et son « immoralité » dans « la Comédie humaine »

Balzac recourt à l’emploi de nombreuses figures de style, fait parler différents types sociaux et adopte un point de vue narratif déterminé au point d’être accusé de vulgarité et d’immoralisme.

style, comédie humaine, balzac, immorlaisme, critique
Epreuves des Employés corrigées par BAlzac, Musée de Balzac, Paris

 

Repères : la Comédie humaine : analyse

Dans l’article précédent, nous avons évoqué le cas Vautrin au travers de la destinée extraordinaire de ce personnage.

Aujourd’hui, nous verrons le style propre de Balzac dans la Comédie humaine. L’écrivain recourt à l’emploi de nombreuses figures de style, fait parler différents types sociaux et adopte un point de vue narratif déterminé.

Figures de style

Balzac emploie de très nombreuses figures de style donnant une grande richesse illustrative. On relève communément des comparaisons :

« Cet audacieux Trompe-la-Mort était devenu faible comme un enfant. »

Balzac, Splendeurs et misères des courtisanes, 3e partie

L’auteur recourt à des métaphores comme dans le premier chapitre du Lys dans la vallée :

« À quel talent nourri de larmes devrons-nous un jour la plus émouvante élégie, la peinture des tourments subits en silence par les âmes dont les racines tendres encore ne rencontrent que de durs cailloux dans le sol domestique, dont les premières frondaisons sont déchirées par des mains haineuses, dont les fleurs sont atteintes par la gelée au moment où elles s’ouvrent ? »

Balzac, Le lys dans la vallée

Balzac recourt aussi à de nombreuses énumérations nécessaires à ses descriptions minutieuses :

« Or, par une de ces belles matinées de printemps, où les feuilles ne sont pas vertes encore, quoique dépliées ; où le soleil commence à faire flamber les toits et où le ciel est bleu ; où la population parisienne sort de ses alvéoles, vient bourdonner sur les boulevards, coule comme un serpent à mille couleurs, par la rue de la Paix vers les Tuileries, en saluant les pompes de l’hyménée que recommence la campagne ; dans une de ces joyeuses journées donc, un jeune homme, beau comme était le jour de ce jour-là, mis avec goût, aisé dans ses manières (disons le secret) un enfant de l’amour, le fils naturel de lord Dudley et de la célèbre marquise de Vordac, se promenait dans la grande allée des Tuileries. »

Balzac, la Fille aux yeux d'or

L’écrivain aime aussi les métonymies tout autant que l’emploi des personnifications comme dans l’incipit de Ferragus :

« Il est dans Paris certaines rues déshonorées autant que peut l’être un homme coupable d’infamie ; puis il existe des rues nobles, puis des rues simplement honnêtes, puis de jeunes rues sur la moralité desquelles le public ne s’est pas encore formé d’opinion ; puis des rues assassines, des rues plus vieilles que de vieilles douairières ne sont vieilles, des rues estimables, des rues toujours propres, des rues toujours sales, des rues ouvrières, travailleuses, mercantiles. Enfin, les rues de Paris ont des qualités humaines, et nous impriment par leur physionomie certaines idées contre lesquelles nous sommes sans défense. »

Balzac, Ferragus

Langages sociaux

Pour accroître le réalisme, Balzac restitue le langage de ses personnages dans leur contexte. Paysan, domestique, étranger, bagnard. L’auteur nous donne à lire dans le « texte » les propos des personnages.

Prenez le baron de Nucingen qui est allemand et dont les mots sont repris in extenso dans un verbiage à déchiffrer phonétiquement ;

« Zi chaffais âmné Chorche (prononcez Georges), au lier te doi, crosse pette, ile aurede pien si droufer cedde phâmme, dit-il au domestique […] »

Balzac, Splendeurs et misères des courtisanes,

Pour l’abbé Herrera, l’auteur se borne à nous parler de son fort accent à plusieurs reprises, sans reprendre le procédé utilisé pour Nucingen :

« Vous avez laissé courir la diligence, monsieur, vous perdrez votre place, à moins que vous ne vouliez monter dans ma calèche pour la rattraper, car la poste va plus vite que la voiture publique, dit le voyageur à Lucien en prononçant ces mots avec un accent très marqué d’espagnol et en mettant à son offre une exquise politesse. »

Balzac, les Illusions perdues

Le langage des bagnards est repris lui avec des parenthèses nécessaires pour la traduction :

 « T’as donc tafe de nozigues ? (tu te méfies donc de nous ?) dit Fil-de-Soie. Tu viens cromper ta tante (sauver ton ami).

— Madeleine est paré pour la placarde de vergne (est prêt pour la place de Grève), dit La Pouraille.

— Théodore ! dit Jacques Collin en comprimant un bond et un cri.

Ce fut le dernier coup de la torture de ce colosse détruit.

— On va le buter, répéta La Pouraille, il est depuis deux mois gerbé à la passe (condamné à mort). »

Balzac, Splendeurs et misères des courtisanes,

Tout cela participe à une littérature "réaliste" qui ne sera pas sans connaître des critiques comme nous le verrons ci-après que ce soit pour son style que pour son« immoralisme ». Pour des lecteurs de notre temps, on a du mal à imaginer une telle critique, mais voyons ce qui lui est reproché.

Omniscience

Balzac adopte un point de vue narratif omniscient. Il voit tout, il dit tout. Mais au-delà de tout cela, il explique. L’auteur intervient sans cesse dans le récit :

« Chacun devine combien les pensées dominantes et la vie intérieure des deux amis les rendaient impropres à gérer une imprimerie. »

Balzac, les Illusions perdues

« Pour l’intelligence de ce qu’allait tenter Jacques Collin, il est nécessaire de faire observer ici que les assassins, les voleurs, que tous ceux qui peuplent les bagnes ne sont pas aussi redoutables qu’on le croit. » 

Balzac, Splendeurs et misères des courtisanes

C’est ce que lui reproche Proust :

« Le style ne suggère pas, ne reflète pas : il explique. Il explique d’ailleurs à l’aide des images les plus saisissantes, mais non fondues avec le reste, qui font comprendre ce qu’il veut dire comme on le fait comprendre dans la conversation si on a une conversation géniale, mais sans se préoccuper de l’harmonie du tout et de ne pas intervenir. » 

Proust, Contre Sainte-Beuve

Pour autant, Proust admirait la Comédie humaine en dépit de ses défauts stylistiques :

« Aussi est-on étonné de voir que cependant il y a de beaux effets de silence dans son œuvre. (…)

Balzac, on sait toutes ses vulgarités, elles nous ont souvent rebutés au début ; puis on a commencé à l’aimer, alors on sourit à toutes ces naïvetés qui sont si bien lui-même  ; on l’aime, avec un tout petit peu d’ironie qui se mêle à la tendresse  ; on connaît ses travers, ses petitesses, et on les aime parce qu’elles le caractérisent fortement. »

Proust, Contre Sainte-Beuve

C’est ce style bien distinctif qui est la "marque de fabrique" Balzac, lequel a eu à souffrir de la critique de son temps et pas seulement sur son style.

Immoralisme

La critique de la Comédie humaine qui a le plus heurté Balzac concerne son « immoralité ». Cette littérature de système avec une pointe de réalisme et qui tend à dévoiler les mœurs de son temps n’a certes pas été du goût de tous. Son ambition encyclopédique les a surpris voire heurtés. Son approche historique et sociologique les a entièrement dépassés.

On peut estimer que la vérité mise à nue n’est jamais plaisante, mais l’accusation d’immoralité de celui qui décrit les choses comme il les voit est somme toute injuste. Dans son Avant-propos, il revient sur ce point :

« Les écrivains qui ont un but, fût-ce un retour aux principes qui se trouvent dans le passé par cela même qu’ils sont éternels, doivent toujours déblayer le terrain. Or, quiconque apporte sa pierre dans le domaine des idées, quiconque signale un abus, quiconque marque d’un signe le mauvais pour être retranché, celui-là passe toujours pour être immoral. Le reproche d’immoralité, qui n’a jamais failli à l’écrivain courageux, est d’ailleurs le dernier qui reste à faire quand on n’a plus rien à dire à un poëte. Si vous êtes vrai dans vos peintures ; si, à force de travaux diurnes et nocturnes, vous parvenez à écrire la langue la plus difficile du monde, on vous jette alors le mot immoral à la face. Socrate fut immoral, Jésus-Christ fut immoral ; tous deux ils furent poursuivis au nom des Sociétés qu’ils renversaient ou réformaient. Quand on veut tuer quelqu’un, on le taxe d’immoralité. Cette manœuvre, familière aux partis, est la honte de tous ceux qui l’emploient. Luther et Calvin savaient bien ce qu’ils faisaient en se servant des intérêts matériels blessés comme d’un bouclier ! Aussi ont-ils vécu toute leur vie. »

Balzac, L'Avant-propos de la Comédie humaine

Sources :

Balzac et son style, Anne Herschberg-Pierrot, Sedes

Proust, Contre Sainte-Beuve

repère à suivre : la postérité de la Comédie humaine

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article