Analyse-Livres & Culture pour tous
24 Novembre 2020
La Comédie humaine a été conçue comme « un système », avec ses grandes catégories formant les trois niveaux de l’édifice architectural : les études de mœurs, partie qui est de loin la plus élaborée ; les études philosophiques, partie inachevée et les études analytiques, partie à peine entamée. Trois catégories avec des buts distincts...
Repères : la Comédie humaine : analyse
Dans l’article précédent, nous avons évoqué la portée morale du monument littéraire, pris entre un pessimisme social et un optimisme individuel. Aujourd’hui, il est temps de comprendre dans le détail la structure de cette somme romanesque au regard de la problématique au cœur de ce hors-série : en quoi, la Comédie humaine, basée sur un système conçu et exécuté par Balzac, constitue-t-elle une œuvre annonciatrice du mouvement réaliste ?
D’aucuns considèrent que l’on peut lire les romans de Balzac dans n’importe quel ordre, sauf certains opus qui se suivent comme les Illusions perdues, qui précède Splendeurs et misères des courtisanes.
Mais de manière générale, on choisit de lire un roman balzacien comme s’il ne faisait pas partie d’un ensemble.
C'est un tort...
De plus, on ne fait jamais vraiment attention à la catégorie au sein de laquelle le livre est publié, d’autant plus que les éditions de poche ne précisent guère ce point : l’information est à piocher dans les préfaces ou les dossiers de l’œuvre commentée. Tout cela donnerait donc à penser que l’ordonnancement des romans balzaciens ne compte finalement pas.
Et pourtant...
Notons enfin que ceux qui auraient compris (dont l'auteur de ces lignes) que la Comédie humaine regroupe une variété d’œuvres sont souvent bien en peine d’expliquer exactement la nature du système élaboré par l'auteur. Notre amitié pour Balzac est donc infidèle à ce qu'il serait en droit d'attendre de nous...
Il est donc temps d’apporter toutes les précisions utiles pour rendre les honneurs à ce pur génie.
Et pour cela, nous allons plonger dans son système en recourant à une métaphore : la « cathédrale de papier. »
La métaphore architecturale a été choisie par Balzac lui-même :
« Vous ne vous figurez pas ce que c’est que la Comédie humaine : c’est plus vaste littérairement que la cathédrale de Bourges architecturalement. » (Lettre à madame Zulma Carreau, janvier 1845).
Stéphane Vachon, un éminent spécialiste, a repris cette métaphore pour illustrer l’originalité et l’ambition de son projet devenu la « cathédrale de papier ».
Il est temps de considérer la Comédie humaine comme « un système », terme cher à Pierre-Georges Castex. Des grandes catégories se dessinent et forment les trois niveaux de l’édifice :
À l’intérieur de ces études, des subdivisions ont été effectuées par Balzac.
Ainsi pour les études de mœurs, on note six subdivisions appelées scènes de la vie :
On compte 20 romans/nouvelles dans cette catégorie dont la Peau de chagrin, Louis Lambert, Adieu.
On trouve deux romans sur le mariage qui intéressait l’auteur dans sa volonté de lutter contre la défragmentation de la société : physiologie du mariage et petites misères de la vie conjugale ainsi qu’un sous-titre pathologie de la vie sociale avec deux traités et une théorie.
Mouvements
Balzac n'a pas conçu la Comédie humaine de manière figée. S’il a conçu une œuvre avec une certaine unité, il s’est autorisé, au fil des ans, de nombreux remaniements, en déplaçant ses ouvrages au gré de ses nombreuses corrections.
En effet, au sein des trois types d’études, l’écrivain a modifié le classement de certains romans comme La recherche l’Absolu, livre qui est passé des études de mœurs aux études philosophiques.
À l’intérieur même des études, l’auteur a en outre modifié ses étiquettes. Ainsi certaines scènes de la vie privée ont pu être transférées dans les scènes de la vie de province ou parisienne.
On voit bien que c’est une architecture avec un ordre imparfait, mais qui ne remet pas en cause les trois cadres fixes.
Ce système nous a été laissé inachevé par Balzac, surpris par la mort à cinquante ans, après 20 années de dur labeur, diurne et nocturne, à polir les pierres de son œuvre.
Réalisme
Le "réalisme" de Balzac tient à sa volonté de croiser un lieu précis et des mœurs déterminés. Mais il procède aussi de ses analyses philosophiques ou analytiques. L'auteur les fonde à partir d’une question sociale qui l'obsède toujours comme nous avons pu l'indiquer précédemment.
On voit bien que ce parti pris de divisions, de subdivisions certes artificielles, participe à une entreprise réaliste, destinée à couvrir, sur une large échelle, les mœurs de toute une époque.
Dans l’article suivant, nous verrons les périodes historiques couvertes par la Comédie humaine.
Source :
Castex, l’univers de « la Comédie humaine », La Pléiade, tome 1
Stéphane Vachon, Les Travaux et les jours d’Honoré de Balzac, Préface de Roger Pierrot, Paris et Montréal, Presses Universitaires de Vincennes, Presses du CNRS, Presses de l’Université de Montréal, 1992 (voir notamment « Construction d’une cathédrale de papier », p. 15-41).
http://hbalzac.free.fr/plan.php
https://www.cairn.info/revue-l-annee-balzacienne-2002-1-page-73.htm#re3no3
repère à suivre : Les périodes historiques dans la Comédie humaine