Analyse-Livres & Culture pour tous
2 Septembre 2020
De nombreux commentateurs revisitent la position défendue par Béralde dans l'acte 3 scène 3 du Malade imaginaire de Molière comme une critique non plus de la médecine, mais de la religion. On peut en effet remplacer le début de la scène : « Vous ne croyez donc point à la médecine ? » , par « Vous ne croyez donc point ? ». La pièce prend un tout autre sens...
Repères : malade imaginaire : sommaire
Dans l’article précédent, nous avons présenté les caractéristiques de ce que l’on appelle « le cas Argan » selon la formule de Patrick Dandrey. Nous travaillerons la notion autour des trois points suivants :
Aujourd’hui, nous étudierons le dernier point.
De nombreux commentateurs, dont Patrick Dandrey, revisitent la position défendue par Béralde comme une critique non plus de la médecine, mais de la religion.
On peut remplacer le début de la scène : « Vous ne croyez donc point à la médecine ? » , par « Vous ne croyez donc point ? » On a vu dans l’article précédent, les nombreux champs lexicaux relatifs à la liturgie, le « salut » la « foi » etc…
Le sens de la pièce prendrait donc un autre sens. On pourrait parler de la critique de la superstition, des prêtres, de la crédulité des fidèles. Cela ferait du Malade imaginaire une pièce pleine d’impiété. Pour des lecteurs du XXIe siècle, cette analyse ne poserait pas de difficultés d’acceptation, mais pour une époque religieuse comme l’est le XVIIe siècle, cette analyse pourrait être taxée d’anachronisme. Il reste que certains éléments peuvent aller dans ce sens.
Pour cela, il faut revenir à l’affaire Tartuffe.
Depuis que cette pièce a connu diverses interdictions sous l’empire du parti dévot, Molière n’a plus jamais abordé la question religieuse, la censure était trop forte. Il aurait pu avoir la tentation de le faire, de manière indirecte, avec cet art d’écrire qui consiste à lire à travers les lignes. La relecture du passage est troublante à cet égard entre les personnages des deux pièces Orgon/Argan Cléante/Béralde.
D’autres éléments viennent amener un élément supplémentaire.
Molière a été un lecteur et un traducteur de Lucrèce, lui-même critique de la religion qui vit sur la peur et l’aveuglement des fidèles. Il aurait pu transposer cette argumentation en la faisant passer pour une simple satire de la médecine. On sait enfin que les Essais de Montaigne, lequel confessait une modération et un doute à l’égard du savoir des hommes, étaient une des lectures favorites de Molière.
Cette ambiguïté n’est pas complètement levée. Pour Robert Garapon, cette doctrine est un fourvoiement dans la mesure où l’objectif de Molière consiste à décrire la nature humaine, sa crédulité et ses illusions. Pour ce faire, le rôle du rire a pour objet de corriger les mœurs.
Pour Patrick Dandrey, la question vaut d’être posée. Il conclut pour sa part en relevant que l’on peut parler de scepticisme de Molière.
Bénédicte Louvat-Molozay penche pour une approche beaucoup plus claire :
« Pièce antichrétienne sinon résolument athée, Le Malade imaginaire affirme, par la bouche de Béralde (…) une proximité remarquable avec les principes du matérialisme épicurien et du scepticisme moderne… » (page 28)
Sources :
Patrick Dandrey, le cas Argan : Molière et Le Malade imaginaire, Bibliothèque d’histoire du théâtre, Klincksieck
Robert Garapon, le dernier Molière, société d’édition d’enseignement supérieur, 1977, pages 156 et suivants.
Bénédicte Louvat-Molozay, introduction au malade imaginaire, Molière, LDP 2012.