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Analyse-Livres & Auteurs-Culture

L’analyse détaillée du monologue d’Argan dans "Le Malade imaginaire" (Molière)

 

À l’appui de la Méthode des 6 GROSSES CLEFS ©, il ressort de l’analyse du monologue d’Argan que Molière a joué sur une combinaison d’effets comiques, de mots et de gestes. Dans les procédés grammaticaux, Molière met le malade au centre de sa maladie avec le contrôle dépenses. 

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Repères : malade imaginaire : étude

 

Dans l’article précédent, nous avons rappelé le contour de l’analyse de la pièce qui est axée sur la problématique suivante : comment Molière entreprend-il, par le spectacle et la comédie, de corriger les mœurs dans Le Malade imaginaire ?

 

Nous avons commencé par la lecture analytique du monologue d’Argan en fonction de la méthode des 6 GROSSES CLEFS ©

 

Aujourd’hui, il sera question de son analyse avant de parcourir dans l’article suivant le plan.

 

Grammaire

Argan analyse et comptabilise les factures du pharmacien. Le paratexte dit qu’il utilise des jetons pour faire ses calculs, ce qui donne un aspect visuel aux propos tenus dans ce monologue.

Le malade lit des suites de traitements, lesquels sont exprimés par des phrases non verbales "Les entrailles de Monsieur, trente sols".

Les traitements sont définis par des adjectifs qualificatifs qui se veulent savants alors qu’ils n’ont pas toujours de sens : « un petit clystère insinuatif, préparatif, et rémollient». Chaque facture explique les raisons du traitement avec des prépositions de but « pour » suivi de verbes : « pour balayer, laver, et nettoyer le bas-ventre de Monsieur ». On entre dans une logique médicale qui s’associe à une logique arithmétique.

Le monologue repose sur une longue suite de calcul : le malade fait des additions, représentées par accumulation de nombres qui se suivent : « Trois et deux font cinq, et cinq font dix, et dix font vingt. »  Cette suite de calcul induit des conséquences logiques avec des conjonctions de coordination « et », l’adverbe « plus », le verbe « font » ou la locution conjonctive finale « Si bien donc ».

Argan procède à une comparaison stricte entre les coûts des médicaments sur deux mois en recourant à des propositions juxtaposées. Il s’aperçoit à son grand dam et en dépit de tous ses efforts pour réduire les factures qu’il a moins été soigné : « que de ce mois j’ai pris une, deux, trois, quatre, cinq, six, sept et huit médecines ; et un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix, onze et douze lavements ; et l’autre mois il y avait douze médecines, et vingt lavements. »

Argan tient en outre un compte détaillé avec les unités monétaires distinctes : deniers, sols, livres, francs. Il procède aussi par des équivalences « c’est-à-dire », entre les différents résultats. « vingt sols, et vingt sols en langage d’apothicaire, c’est-à-dire dix sols ; les voilà, dix sols. »

Mais ce monologue contient plusieurs effets comiques.

Le premier tient au dialogue imaginaire, ce qui n’est pas banal pour un monologue. Il s’installe avec le pharmacien, monsieur Fleurant. Tout à ses calculs, le malade l’interpelle : « je vous l’ai déjà dit »; « je suis bien aise que vous soyez raisonnable. »

Il lui parle pour refuser le paiement qu’il trouve excessif « je suis votre serviteur ».

Le malade se lance même dans des négociations en proposant à quatre reprises un rabais  « vingt sols." Bon, dix sols. " Monsieur Fleurant, dix sols. » « Dix sols, Monsieur Fleurant»,  « Ah ! Monsieur Fleurant, tout doux, s’il vous plaît » « contentez-vous de quatre francs. »

Il accepte d’autres traitements avec une proposition de coordonnées : " je ne me plains pas de celui-là, car il me fit bien dormir »

Le malade se révèle avare, défaut qu’il dissimule avec une formulation impersonnelle pour lui donner une valeur de maxime :  « il faut être aussi raisonnable, et ne pas écorcher les malades »

L’effet comique tient aussi aux exclamations nombreuses « ah ! » gage de sa spontanéité, mais aussi signe de son impatience, « voilà qui est pitoyable ! ».

Le malade a peur d’être seul. Il utilise des tournures impersonnelles et générales pour se plaindre de son abandon :  « il y a » « on me laisse toujours seul », « ils ».

Le malade recourt aussi à des onomatopées « drelin » qui imite le son de la cloche qu’il combine avec le son de la cloche elle-même.

Oppositions

Le jeu de scène : opposition entre une scène statique et le mouvement des paroles donnant de la vivacité à la scène. Opposition entre une scène statique du début et le mouvement avec la cloche.

On relève l’opposition entre « civil » et « raisonnable : c’est l’enjeu que poursuit Argan, de ne pas se laisser abuser par l’énonce littéraire des traitements et leur coût. En réalité, il se laisse berner par l’apothicaire. Loin de critiquer les traitements aussi contradictoires, que cumulatifs ou inutiles, il ne fait que regarder leur coût. L’effet comique réside dans le fait que le malade conteste la facture non pour l’exagération manifeste des soins, mais pour leurs coûts.

Sur le traitement, on relève l’opposition entre des traitements par voie orale « potion » « sirop », « petit-lait », « bonne médecine » sans goût, « anodine » et par voie rectale, « clystère », « lavement » souvent avec des composants délicats « rhubarbe, miel rosat ». Les traitements ou les breuvages sont alternés ou combinés sans logique. On obtient des combinaisons délirantes, la satire de la médecine est là.

Pour la première facture, deux lavements, « clystère », et deux potions dont une pour le foie et l’autre un somnifère. Les indications de l’apothicaire sont fantaisistes lorsqu’on voit l’opposition entre la potion pour le foie « hépatique » comportait déjà un effet « soporatif », cela n’empêche pas de l’associer à un autre somnifère. On ne peut que comprendre l’effet sur Argan, ravi d’avoir pu ainsi dormir.

La deuxième facture compte pas moins de deux médicaments, l’un dans la journée pour purger et, l’autre, le soir, pour calmer les effets du traitement. On note l’effet de la potion dite « anodine » qui a pourtant un puissant effet, « astringent », alors que le repos du malade est justement recherché, « repose ».

La troisième facture comprend matin et soir deux lavements, « le clystère de Monsieur réitéré le soir, comme dessus, » dans quel but ? « pour chasser les vents ».

La quatrième comprend une potion laxative, « Plus du vingt-septième, une bonne médecine composée pour hâter d’aller, et chasser dehors les mauvaises humeurs de Monsieur, trois livres." On voit que lavement et potion n’ont aucune indication précise, l’un pouvant être utilisé à la place de l’autre.

La 28e facture est du lait pour adoucir le sang qui s’oppose à une « potion cordiale » qui est un vrai antipoison, le bézoard, auquel on ajoute des agrumes  : "Plus du vingt-huitième, une prise de petit-lait clarifié, et dulcoré, pour adoucir, ….Plus une potion cordiale et préservative, composée avec douze grains de bézoard , sirops de limon et grenade, et autres ».

On notera que les descriptions du pharmacien oscillent entre l’extrême précision, « douze grains » et des propos allusifs tels « et autres .»

Des oppositions concernent les nombres qui se répondent dans les mêmes proportions du simple au double, ce qui donne un effet comique. «  cinq font dix, et dix font vingt».

On voit aussi les négociations de l’avare qui réduit graduellement les factures par trois : « Trente sols un lavement, je suis votre serviteur, je vous l’ai déjà dit. Vous ne me les avez mis dans les autres parties qu’à vingt sols, et vingt sols en langage d’apothicaire, c’est-à-dire dix sols ».

Tout cela pour obtenir après un long calcul fastidieux un résultat paradoxal en une phrase. Le montant se révèle moins élevé que le précédent : « huit médecines ; et un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix, onze et douze lavements ; et l’autre mois il y avait douze médecines, et vingt lavements. » Calcul erroné : on compte 8 potions et 4 lavements au total.

Le paradoxe tient au fait que cela l’inquiète au lieu de lui faire plaisir : « si je ne me porte pas si bien ce mois-ci, que l’autre. »

Opposition entre le pharmacien, Monsieur Fleurant et le médecin, monsieur Purgon, à la fois dans le choix de leur nom.

Les pronoms personnels ont joué sur l’opposition entre le « je » du malade, symbole de son égocentrisme et le « vous » du pharmacien honni, pour déboucher sur l’opposition entre le malade toujours à la première personne avec le reste de la maisonnée : « ils ».

On note une opposition entre le malade et une chose, la cloche : cette dernière sonne en vain et pourtant le malade verse dans son imitation. « Ils n’entendent point, et ma sonnette ne fait pas assez de bruit. Drelin, drelin, drelin, point d’affaire. » Cette scène fait naître une opposition entre un malade assis à compter ses traitements et un malade qui gesticule avec une cloche.

Enfin on note l’opposition entre la solitude et mourir à la fin du monologue, ce qui nous met sur la voie de maladie réelle du malade. « un pauvre malade tout seul …ils me laisseront ici mourir. »

 

Sens

Les 5 sens sont présents dans le texte, ce qui donne un caractère brillant et enlevé à la scène. C’est évidemment la vue qui est le fil rouge puisque le malade lit les factures, « comme dessus », « ce qui me plaît, ». C’est au tour du toucher « écorcher les malades », sens de l’exagération, puis le goût avec les potions « une bonne médecine » et toutes les saveurs délicates dont on a vu qu’elles n’étaient pas destinées-effet comique- à cette partie du corps. On arrive à l’odorat avec les détails scabreux des flatulences « chasser dehors les mauvaises humeurs » « vents ». La scène se termine enfin par l’ouïe et l’épisode de la sonnette, « Ils n’entendent point » qui sert à montrer toute l’angoisse du malade.

 

Conjugaison

Le monologue est d’une richesse d’expression puisque les trois types de temps se retrouvent tout comme les trois des modes de conjugaison (indicatif, subjonctif et impératif).

Ainsi au mode de l’indicatif, le présent apparait la plupart du temps pour signifier l’action que le malade effectue dans l’instant, dans sa lecture, dans ses refus  « je suis votre serviteur » ou lorsqu’il réduit le coût des traitement « contentez-vous ».

Il emploie aussi le présent de vérité générale pour dissimuler sa pingrerie « il faut vivre avec les malades. »

On peut aussi comprendre non plus les actions, mais les émotions d’Argan qui passe de la plainte à la colère « on me laisse toujours seul » à « j’enrage. »

Comme il s’agit d’une vérification de factures, Argan utilise le passé pour se remémorer des soins reçus : « je vous l’ai déjà dit. » « il me fit bien dormir », « il y avait douze médecines, et vingt lavements ».

C’est aussi le temps de solder les comptes et c’est le futur qu’emploie Argan qui craint en bon hypocondriaque d’avoir moins été soigné : Je le dirai à Monsieur Purgon.

On retrouve en outre le subjonctif, le mode d’expression d’une réflexion dans le monologue : « je suis bien aise que vous soyez raisonnable » qui marque le contentement du malade avare qui voit que son prix est justifié. C’est le temps non du malade, soumis, qui ne fait que constater, mais celui du médecin prescripteur de soins et de médicaments, puisqu’Argan dans toute sa folie entend paradoxalement obtenir plus de traitement, lesquels seront coûteux «afin qu’il mette ordre à cela. »

Pour donner de la vivacité au récit, Molière met enfin de l’impératif dans la bouche du malade imaginaire avec son dialogue tout aussi imaginaire : « mettez trois livres, s’il vous plait »,

Champ lexical

Deux champs lexicaux, celui du corps et de la médecine.

Sur le corps, on peut relever, « le bas-ventre », « les entrailles, « les vents », « les mauvaises humeurs », les selles « hâter d’aller », bref tout ce qui a trait au système digestif d’Argan. Mais d’autres parties de son corps sont visées telles que la « bile », le foie, « hépatique », et « le sang ». On voit donc que le corps est pris dans le cadre de la connaissance de la médecine de l’époque. Le ridicule de la médecine tient pour Molière, en sa qualité d’auteur du XVIIe siècle, non à ce savoir proprement dit, mais à l’exagération des traitements aux mots savants et aux effets contradictoires.

Sur la médecine, on relèvera tout ce qui a trait à l’univers médical, « apothicaire », « ordonnance », aux choix ridicule du noms des « professionnels » de la santé, Monsieur Fleurant, qui sent bon alors que tout est lié aux traitements des flatulences du malade. Monsieur Purgon, le médecin qui ne fait que prescrire des lavements et des laxatifs. On trouve aussi le nom des traitements, « clystère », « lavement », « médecine purgative », « somnifère ».

 

Figures de style

Beaucoup d’énumération d’adjectifs épithètes lorsqu’ils sont liés à un traitement. Il s’agit de préciser la composition de la thérapeutique avec des termes soi-disant savants : « un petit clystère insinuatif, préparatif, et rémollient, » pour les traitements par voie rectale et idem pour les potions : « une bonne médecine purgative et corroborative, composée de casse récente avec séné levantin, et autres ».

On relève l’emploi de « bon » à plusieurs reprises, ce qui est ironique puisque ce sont des traitements, au contraire, très mauvais pour la santé.

S’agissant de factures d’un pharmacien, on ne s’étonnerait pas du détail des composants, si ses mots avaient du sens. Mais on a vu précédemment que les adjectifs associés sont soit opposés, soit redondants, soit sans rapport avec la maladie : « un bon clystère détersif, composé avec catholicon double, rhubarbe, miel rosat, et autres ». Il s’agit d’un dictionnaire, ce qui est absurde.

Les factures comprennent, en outre, des énumérations de verbes destinées à expliquer les effets recherchés. Les résultats obtenus prêtent à rire, car il s’agit de régler les problèmes digestifs d’Argan. Aucun détail trivial, scatologique n’est tu, tout se dit et redit avec un comique de répétition voulu, « vents », « mauvaises humeur ».

On notera que si les traitements s’opposent ainsi qu’on a pu le dire auparavant, Molière utilise des tournures particulières. Ainsi le corps ne devient plus qu’un sol, qu’une chose dont l’art ménager serait le remède : « pour amollir, humecter, et rafraîchir les entrailles de Monsieur », « pour balayer, laver, et nettoyer le bas-ventre de Monsieur ». Le malade a perdu son statut d’humain, il est chosifié.

Molière recourt aussi à une autre tournure liée à l’animalité « pour expulser et évacuer la bile de Monsieur », comme un animal que l’on voudrait faire déguerpir, « pour chasser les vents de Monsieur ».

On assiste à un comique de répétition avec les sommes demandées et contestées par Argan dans son dialogue imaginaire avec le pharmacien : « Dix Sols, Monsieur Fleurant…. Monsieur Fleurant, dix sols. » « Bon vingt, et trente sols ; »

L’exagération des traitements est la source du ridicule de la médecine et du ridicule du malade

qui discute le coût des traitements, mais jamais leur principe. D’ailleurs, jamais il ne dit le nom de sa maladie, toute son attention est concentrée sur la thérapeutique et le coût de cette dernière.

Or, à quatre reprises, le malade donne son ressenti sur son état. C’est pour reconnaître l’efficacité du somnifère donné après une journée de traitements lourds et inutiles. Molière recourt à une litote: « ;" je ne me plains pas de celui-là, car il me fit bien dormir. »

C’est aussi pour exprimer son hypocondrie, « Je ne m’étonne pas, si je ne me porte pas si bien ce mois-ci, que l’autre. » Là encore, « si bien » est une litote, puisqu’Argan se considère davantage malade depuis qu’il sait qu’il a reçu moins de traitements. D’ailleurs, cette conclusion entraîne une rupture nette dans le monologue. Le comique de geste apparaît à la fin du monologue avec un malade devenu fou d’angoisse puisqu’il injurie ses gens et imite la sonnette à laquelle personne ne répond, avant de répéter seul à l’envi, « Drelin, drelin, drelin ».

Argan passe, en effet, dans différents stades de sentiments. On assiste avec une gradation : à la maîtrise certaine d’un homme tatillon « il faut être aussi raisonnable » qui devient un malade sourcilleux « Mettez trois livres », au malade mécontent « Je le dirai à Monsieur Purgon », à l’homme angoissé « toujours seul » et enfin au quasi-mourant, « mourir ».

 

Dans l’article suivant, il vous sera proposé le plan d’un commentaire linéaire.

 

repère à suivre :  plan d’analyse du monologue d’Argan dans Le Malade imaginaire (Molière)

 

 

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