Analyse-Livres & Culture pour tous
5 Juillet 2010
Chateaubriand a fait une demande à la mairie de Saint-Malo en 1828 pour obtenir une concession sur la pointe de l'île du Grand-Bé. Visite de sa tombe en compagnie de Flaubert et de Sartre.
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Dans l'article précédent, nous avons visité Combray, poussons aujourd'hui jusqu'à Saint-Malo avec Chateaubriand.
Pourquoi cette ville ? C'est le lieu choisi par Chateaubriand lui-même pour recevoir sa sépulture.
Chateaubriand est illustre de son temps compte tenu de son expérience politique et son œuvre littéraire comportant notamment Atala ou René.
C'est aussi un auteur qui, à court d'argent pour vivre, a été contraint en 1836 de céder ses droits de son ouvrage autobiographique les Mémoires d'outre-tombe à la presse avec interdiction formelle de publier son œuvre magistrale de son vivant.
C'est enfin un homme obsédé par sa personne et la survie de son œuvre.
L'écrivain s'est ainsi préoccupé de sa sépulture à l'âge de 60 ans.
Pour cela, il a fait une demande à la mairie de Saint-Malo en 1828 pour obtenir une concession sur la pointe de l'ile du Grand-Bé. Cette demande lui est refusée avant de lui être accordée sous réserve d'autorisation du ministère de la Guerre. Le tombeau sera enfin prêt en 1838, soit 10 ans avant la mort de l'écrivain.
Grand admirateur de Chateaubriand, Flaubert est venu se recueillir auprès de l'auteur. Il en a consigné des notes que l'on retrouve dans un de ses carnets de voyage, Par les champs et par les Grèves (1885). Flaubert nous décrit le tombeau qui a perdu ses grilles en 1944.
"Là se trouve la tombe de Chateaubriand; ce point blanc taillé dans le rocher est la place qu’il a destinée à son cadavre.
Nous y allâmes un soir, à marée basse. Le soleil se couchait. L’eau coulait encore sur le sable. Au pied de l’île, les varechs dégouttelants s’épandaient comme des chevelures de femmes antiques le long d’un grand tombeau. L’île est déserte; une herbe rare y pousse où se mêlent de petites touffes de fleurs violettes et de grandes orties. II y a sur le sommet une case- mate délabrée avec une cour dont les vieux murs s’écroulent. En dessous de ce débris, à mi-côte, on a coupé à même la pente un espace de quelque dix pieds carrés au milieu duquel s’élève une dalle de granit surmontée d’une croix latine. Le tombeau est fait de trois morceaux, un pour le socle, un pour la dalle, un pour la croix.
II dormira là-dessous, la tête tournée vers la mer; dans ce sépulcre bâti sur un écueil, son immortalité sera comme fut sa vie, déserte des autres et tout entourée d’orages. Les vagues avec les siècles murmureront longtemps autour de ce grand souvenir ; dans les tempêtes elles bondiront jusqu’à ses pieds, ou les matins d’été, quand les voiles blanches se déploient et que l’hirondelle arrive d’au delà des mers, longues et douces, elles lui apporteront la volupté mélancolique des horizons et la caresse des larges brises. Et les jours ainsi s’écoulant, pendant que les flots de la grève natale iront se balançant toujours entre son berceau et son tombeau, le cœur de René devenu froid, lentement, s’éparpillera dans le néant, au rythme sans fin de cette musique éternelle.
Nous avons tourné autour du tombeau, nous l’avons touché de nos mains, nous l’avons regardé comme s’il eût contenu son hôte, nous nous sommes assis par terre à ses côtés.
Le ciel était rose, la mer tranquille et la brise endormie. "
https://fr.wikisource.org/wiki/Par_les_champs_et_par_les_gr%C3%A8ves/Bretagne
Sartre a cherché à s'opposer au grand homme qu'il connaissait bien pour l'avoir beaucoup lu dans sa jeunesse. Il l'indique à plusieurs reprises dans les Mots, ouvrage dans lequel il règle ses comptes avec son enfance et sa jeunesse bourgeoise. Pour autant, il ne peut s'empêcher dans ce même récit autobiographique d'adopter une démarche narcissique quasi similaire, même à rebours de Chateaubriand qui, lui, s'aimait.
On notera que Sartre est venu lui-même à Grand-Bé comme le note sa compagne :
"Le tombeau de Chateaubriand nous sembla si ridiculement pompeux dans sa fausse simplicité, que pour marquer son mépris, Sartre pissa dessus. "
Beauvoir, la force de l'âge, NRF, 1960, page 114
Démarche sacrilège qui en dit long sur la moralité de l'intellectuel du moment...
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