Analyse-Livres & Culture pour tous
16 Mars 2020
Bac 2020 : dans la modernité poétique s’effectue un parallèle entre la peinture cubiste et Alcools d’Apollinaire : il y a la même déformation des objets et la même importance des couleurs et des contrastes. C’est donc une conception résolument moderne de la poésie.
Repères : thème de la modernité poétique : étude
Dans l’article précédent, nous avons examiné le choc des registres au sein de cette poésie. Il reste aujourd’hui à voir en quoi cette poésie peut être qualifiée de cubiste. Le recueil est placé sous le fondement du cubisme tant par sa forme que par son fond.
C’est un mouvement artistique du début du XXe siècle fondé sur une nouvelle représentation esthétique basée sur la déconstruction conceptuelle du réel et par la démultiplication des points de vue sur l’objet.
Le réalisme du cubisme vise à retrouver le volume réel, les structures de l’objet dans l’espace, ce qui fait de l’artiste un créateur.
Les sujets sont souvent empruntés au quotidien et donc à la modernité.
« Les grands poètes et les grands artistes ont pour fonction sociale de renouveler sans cesse l’apparence que revêt la nature aux yeux des hommes.
Sans les poètes, sans les artistes les hommes s’ennuieraient vite de la monotonie naturelle. »
Il s’agit d’une école qui a traversé tous les milieux artistiques, peinture, sculpture et littérature. Apollinaire a entretenu de longues amitiés avec des peintres ; il a été l’amant de Marie Laurencin et proche en matière de cubisme de Picasso avec lequel il a conceptualisé le cubisme. Notons qu’il n’aimait pas cette terminologie inventée par Matisse.
Apollinaire a été inspiré aussi par des tableaux précis, les saltimbanques est une restitution poétique d’une œuvre de Picasso, Famille de saltimbanques (1905) tout comme le peintre Delaunay et son cubisme lié à Orphée.
Qu’est-ce qu’un frontispice ? C’est une gravure destinée traditionnellement à mettre en valeur un aspect remarquable du livre ou à illustrer l’auteur.
La première édition d’Alcools comporte justement un frontispice créé par Picasso. Ce dernier a choisi de représenter Apollinaire en reprenant les canons du cubisme comme vous pourrez le constater. On perçoit un visage sous différents angles. C’est donc un premier élément. Il reste maintenant à voir en quoi au fond le recueil est inspiré du cubisme.
Braque est connu pour ses premiers collages en 1911 ; Picasso y est venu en 1913. C’est une technique qui sert à rendre compte d’une autre réalité ; elle met à l’honneur l’humble papier qui a une seconde vie sur un support pictural. Ce procédé esthétique qui est repris par Apollinaire transforme sa poétique. On se souvient de l’évocation du journal ou prospectus dans Zone. Le poète crée un décor insolite.
Les cubistes ont voulu rompre avec l’impressionnisme jugé un peu mièvre, car fondé sur l’apparence ; ils aspirent à obtenir une peinture d’une réalité parfois plus brutale, mais plus profonde.
Apollinaire procède à la déconstruction de ses poèmes pétris d’éléments de la vie avant qu’il ne les transforme dans un décor insolite, comme dans le voyageur :
« (…)
Un soir je descendis dans une auberge triste
Auprès de Luxembourg
Dans le fond de la salle il s’envolait un Christ
Quelqu’un avait un furet
Un autre un hérisson
L’on jouait aux cartes
Et toi tu m’avais oublié
(…) »
https://fr.wikisource.org/wiki/Le_Voyageur_(Apollinaire)
Apollinaire utilise une technique poétique où les idées s’agglutinent de manière disparate. Il assemble des vers teintés de naturel avec des vers triviaux pour obtenir des contrastes.
Apollinaire agit comme les cubistes en cherchant à reconstruire un monde.
On voit différentes recherches de perspective dans Zone comme un ajustement d’optique dans les différentes parties du monde évoquées. On va de manière verticale (Tour Eiffel) et de manière horizontale dans tous les sens cardinaux. La surface peut aussi privilégier une ligne de perspective qui dans Vendémiaire aboutit à un seul point, Paris. Le mythe d’Orphée utilisé par Apollinaire est une référence certaine au cubisme orphique du peintre Delaunay. Un parallèle s’effectue entre la peinture et Alcools : il y a la même déformation des objets et la même importance des couleurs et des contrastes.
C’est donc une conception résolument moderne de la poésie. Il nous reste à considérer l’œuvre sous son aspect symboliste ou surréaliste .
Sources : Marie-Jeanne Durry, société d’édition de l’enseignement supérieur, 1964, tome 2.
Apollinaire, Méditations esthétiques, les peintres cubistes (1913)
https://bibliomab.wordpress.com/2009/05/15/les-frontispices-dans-les-livres-anciens/
Repère à suivre : Alcools, entre symbolisme ou surréalisme ?