Analyse-Livres & Culture pour tous
16 Mars 2020
Bac 2020 : l’absence de ponctuation marque très clairement l’affranchissement du poète avec les règles classiques. C’est un ancrage fort de l’œuvre dans la Modernité.
Repères : thème de la modernité poétique : étude
Dans l’article précédent, nous avons examiné les points suivants qui font entrer Alcools dans la modernité, le bouleversement technologique, il reste aujourd’hui à voir comment, dans la forme, Apollinaire entend « machiner la poésie comme on a machiné le monde. »
https://fr.wikisource.org/wiki/L%E2%80%99Esprit_nouveau_et_les_po%C3%A8tes
Nous verrons aujourd’hui l’entreprise poétique d’Apollinaire en nous interrogeant sur la forme de sa poésie et sur ce qui saute aux yeux, l’absence de ponctuation.
Avant lui, Mallarmé a déjà conçu des poèmes sans ponctuation comme dans un coup de dés jamais n’abolira le hasard, qui est une œuvre à la fois graphique et typographique, ainsi que nous l’avions indiqué lors de l’examen du thème consacré au silence.
Il s’avère qu’Apollinaire a repris cette forme pour son recueil.
Le recueil est donc dénué de toute forme de ponctuation. Cela signifie que ses textes déjà publiés ont été expurgés des points, des virgules, etc. pour donner une unité formelle aux poèmes inédits.
Cette absence de ponctuation marque très clairement l’affranchissement du poète avec les codes classiques. C’est un signe fort de l’ancrage de l’œuvre dans la Modernité. Pour autant, il convient de comprendre l’enjeu de ce qui sous-tend cet abandon des règles d’usage.
Que cherche Apollinaire en supprimant la ponctuation ? En agissant ainsi, il propose aux lecteurs une variation de sens à son texte. Cela oblige à laisser libre cours à la lecture qui devient glissante, d’un mot à l’autre.
En application, il vous est proposé de lire Les colchiques en respectant notre méthode des 6 GROSSES CLEFS ©.
Pour que vous puissiez suivre, on rappellera le sens des codes couleur :
6 GROSSES CLEFS
Gr : grammaire C : Conjugaison
OS : oppositions le : champ lexical
SE : les 5 sens FS : figures de style
Le pré est vénéneux mais joli/en automne/
Les vaches y paissant
Lentement s’empoisonnent/
Le colchique couleur de cerne et de lilas
Y fleurit/tes yeux sont comme cette fleur-là
Violâtres comme leur cerne et comme cet automne/
Et ma vie pour tes yeux lentement s’empoisonne/
Les enfants de l’école viennent avec fracas/
Vêtus de hoquetons et jouant de l’harmonica/
Ils cueillent les colchiques qui sont comme des mères/
Filles de leurs filles et sont couleur de tes paupières
Qui battent comme les fleurs battent au vent dément
Le gardien du troupeau chante tout doucement
Tandis que lentes et meuglant les vaches abandonnent
Pour toujours ce grand pré mal fleuri par l’automne/
Cette évocation de l’amour dont le poète est intoxiqué transparaît avec l’image de la fleur vénéneuse. On retrouve les figures de style chères au poète, comparaisons, répétitions, personnification…
Apollinaire cherche à provoquer différents sens. On note que le terme automne (1e strophe) peut être lu associé ou non au « pré » ou avec « les vaches ».
On trouve le même effet pour le 5e vers, le verbe fleurit s’entend avec son sujet le colchique, mais le poète tente de l’associer à tes yeux, ce qui donne une impression imagée.
L’auteur cherche à provoquer les ruptures en coupant l’alexandrin suivant :
Les vaches y paissant lentement s’empoisonnent
En le coupant en deux à sa césure ou non, on ne lit pas le vers pareillement. Et c’est une impression nouvelle que le poète cherche précisément à provoquer.
Dans l’article suivant, on évoquera également la dégradation du vers et de la strophe.
Repère : le vers et la strophe « machinée »