25 Novembre 2021
Dans le testament français, Andreï Makine met en évidence un mécanisme de résilience par procuration. Celui-ci se met en place au travers d’une France idéalisée par le jeune russe, Aliocha, double de l’écrivain.
Repères : résilience : résilience littéraire
Dans l’article précédent, nous avons rappelé la notion de résilience littéraire et posé la problématique de notre étude : le fait d’écrire, un facteur de résilience ? Après Primo Levi et Jorge Semprun, nous tenterons d’y répondre en nous fondant sur le testament français d’Andreï Makine, œuvre à visée autobiographique, qui met en évidence un mécanisme de résilience rapportée.
Aujourd’hui nous verrons la place que prend une France idéalisée dans le parcours du jeune russe Aliocha.
Aliocha entretient un rapport privilégié avec sa grand-mère française, Charlotte Lemonnier, chez qui il passe ses vacances en Sibérie. Dans son appartement, l’enfant abandonne avec naturel le russe pour parler un français très pur, sa langue « grand-maternelle ».
Il n’est plus en Union soviétique des années soixante-dix, mais en France à la Belle Époque. Il accède ainsi à la culture française d’avant la Première Guerre mondiale.
Aliocha découvre la culture française au travers des meubles et objets de l’appartement de son aïeule. Cette dernière a ainsi gardé des livres français dont elle lui fait rituellement la lecture. Charlotte Lemonnier a conservé aussi de menus objets (cailloux) et sa valise de souvenirs contenant des photos et des coupures de presse de l’époque. L’imagination de son petit-fils est ainsi tenue en éveil par le récit merveilleux qu’on lui en fait.
Il s’agit de contes et légendes d’une France perdue. Mais il ne le sait pas encore.
Pourtant de nombreux mystères entourent le discours de l’aïeule. Il le sent, mais pour l’heure, il ne s’intéresse pas à la vie russe de Charlotte, seulement à son existence en France.
Compte tenu de ces récits idéalisés, Aliocha pense en français, vivant une histoire qui n’est pas formellement la sienne. Il mène une autre vie que la sienne. Il se "remémore" ainsi de grands moments historiques, la visite du tsar Alexandre II à Paris, la crue historique de 1910, la mort du président Félix Faure à l’Élysée en bonne compagnie…
Aliocha se sent français alors qu’il demeure aux confins reculés de l’Union soviétique. Cette identité française le met en butte à la méchanceté de ses pairs avec lesquels il ne se mélange pas. Il ne le peut pas. Le jeune « français » vit par procuration.
C’est aussi un moyen pour lui de supporter les difficultés de la vie quotidienne, les pénuries et de s'accrocher à une histoire familiale qui se substitue à l’endoctrinement marxiste.
Mais la France idéalisée connaît ses limites à une période décisive de sa vie.
Repère à suivre : un rejet de l’identité française