Analyse-Livres & Culture pour tous
25 Novembre 2021
Dans le livre d'Andreï Makine, le testament devient proprement français par la transmission d’une histoire partagée au travers d'une langue choisie pour incarner l’universel, celle de la mise en mots de tous les héritages possibles dès lors qu’ils sont assumés.
Repères : résilience : résilience littéraire
Dans l’article précédent, nous avons rappelé la notion de résilience littéraire et posé la problématique de notre étude : le fait d’écrire, un facteur de résilience ? Après Primo Levi et Jorge Semprun, nous tenterons d’y répondre en nous fondant sur le testament français d’Andreï Makine, œuvre à visée autobiographique.
Le narrateur aborde son identité française qui finit par être rejetée, avant l’heure de la réconciliation avec lui-même au travers d’un bien étrange courrier…
La période qui suit le rejet de sa naturalisation plonge le narrateur dans un sentiment de culpabilité. Sa demande est arrivée trop tard ; tout est fini.
C’est dans cet état d’esprit qu’Aliocha reçoit une lettre de Charlotte écrite quelque temps avant sa mort. Mais pour lui, c’est trop tard ; il n’accorde donc à cette missive qu’une faible attention dans la mesure où, en russe, est évoquée sa vie au goulag. Encore une autre histoire tragique, pense le narrateur.
Il faut qu’une partie de la lettre bouscule cette indifférence pour qu’il la lise avec curiosité et bouleversement.
C’est en français, cette fois, qu’il découvre le dernier secret de cette bien curieuse famille : la mère d’Aliocha a été une enfant des camps avant d’être adoptée par Charlotte.
Cette révélation invalide l'existence de liens de sang entre le narrateur et sa grand-mère. Cette parenté est d'un autre ordre : elle dévoile l’importance d’un héritage transmis au fil du temps, par le langage et les souvenirs.
Et tant pis si cette transmission française a eu lieu par la voie d’une idéalisation, car Aliocha comprend également que sa « francité » est transmise non par le sang, mais par le langage.
Ce testament est d’abord russe par la révélation d’un destin brisé dans l’enfer des goulags soviétiques.
L’éclosion de ce dernier secret vient s’ajouter au récit des souffrances passées de Charlotte que le narrateur découvre.
C’est le point d’orgue d’un traumatisme post-générationnel. Il est subi par toute une famille qui l’a enfoui, l’a refoulé.
Il faut une langue de libération de la parole, ce sera le français.
C’est par le français, le langage de l’imaginaire que l’acte de réparation s’effectue.
On redonne aux mots la place qui leur revient, c’est-à-dire une place dans une histoire déterminée et tragique.
Dans cette démarche de vérité, cette parole devient libre ; elle contextualise et offre une nouvelle perspective :
« Avec ma mère, je me promenais sur le territoire du camp de femmes… C’était mon tout premier souvenir d’enfance. » (page 340)
Si cette remémoration par Aliocha paraît impossible, il reste que le narrateur effectue un acte de réparation ...par procuration.
Compte tenu de son histoire personnelle, il ne peut le faire qu’en français, devenue chez lui la langue du sauvetage par temps de désastre.
Ce testament devient proprement français par la transmission d’une histoire partagée au travers d'une langue choisie pour incarner l’universel, celle de la mise en mots de tous les héritages possibles dès lors qu’ils sont assumés.
Dans un prochain article, il sera question de résilience au travers de l’art et de la littérature.
repère à suivre : art et résilience