Analyse-Livres & Culture pour tous
2 Février 2020
Stendhal dans le Rouge et le Noir met en scène un jeune homme dévoré d'ambition. Confronté à l'injustice de la société de son temps, il se destine par calcul à une carrière sacerdotale destinée à lui procurer tous les avantages qu'il escompte (fortune et gloire). C'est grâce à son charme exercé auprès de deux femmes qu'il bénéficiera d'un tremplin jusqu'à voire son ambition vaincue...
repères : thème du travail : étude
Les deux couleurs : rouge et noir
Dans une petite ville de Franche-Comté, sous la monarchie de Juillet, Julien Sorel, beau jeune homme sensible et intelligent, fils mal-aimé d'un charpentier enrichi, recevra au détour de rencontres décisives une instruction rudimentaire. Âme ardente, il voue en secret une brûlante adoration à Napoléon. Très tôt va germer en lui l'idée de quitter sa ville natale abhorrée. Il est ainsi mû par une ambition débordante de vitalité. Il veut les honneurs et la fortune. Comment y parvenir ? Le titre même du roman propose une piste de réflexion.
Elle symbolise l'armée recouvrant plusieurs images allant du sang versé sur le champ de bataille au ruban de la légion d'honneur. Ce coloris porte en lui la notion de promotion sociale par le seul mérite. Mais l'action se situe dans la période post-napoléonienne où la paix rétablie ne favorise pas les actions d'éclat. Julien sent avec raison qu'il ne pourra pas briller par sa bravoure. Le noir marque, quant à lui, la nuance de la simplicité, de l'apostolat, du deuil. C'est ainsi qu'entre l'armée et le clergé, Julien doit effectuer un choix qu'il réalise avec une surprenante froideur :
« Quand Bonaparte fit parler de lui, la France avait peur d’être envahie ; le mérite militaire était nécessaire et à la mode. Aujourd’hui, on voit des prêtres, de quarante ans, avoir cent mille francs d’appointements, c’est-à-dire, trois fois autant que les fameux généraux de division de Napoléon. Il leur faut des gens qui les secondent. Voilà ce juge de paix, si bonne tête, si honnête homme jusqu’ici, si vieux, qui se déshonore par crainte de déplaire à un jeune vicaire de trente ans. Il faut être prêtre. » (livre I, chapitre V)
Ses calculs ambitieux le jettent donc dans les bras de la prêtrise. Bénéficiant de la protection de l'abbé Chélan devant lequel il joue le parfait dévot, il sera recommandé au maire de Verrières, Monsieur de Rênal, qui l'emploiera en qualité de précepteur de ses enfants. Méprisant cordialement le milieu de l'aristocratie, il échafaude des plans audacieux destinés à obtenir les grâces de l'épouse du maire.
Son entreprise de séduction réussie, il en tirera de nombreux profits tant sur le plan financier que sur le plan des honneurs. Mais il sera contraint de partir au séminaire de Besançon. Puis, il obtiendra à Paris un poste de secrétaire chez le marquis de la Mole. Son ascension irrésistible se poursuit. La fille de ce dernier, Mathilde, fière et orgueilleuse mettra tout en œuvre pour séduire le jeune séminariste dont elle portera l'enfant. Cette situation délicate offre pourtant à Julien la plénitude de sa réussite : un anoblissement, un mariage, des terres donnant des rentes confortables, un brevet de lieutenant de hussard :« Le soir, lorsqu’elle apprit à Julien qu’il était lieutenant de hussards, sa joie fut sans bornes. On peut se la figurer par l’ambition de toute sa vie, et par la passion qu’il avait maintenant pour son fils. Le changement de nom le frappait d’étonnement.
Après tout, pensait-il, mon roman est fini, et à moi seul tout le mérite. J’ai su me faire aimer de ce monstre d’orgueil, ajoutait-il en regardant Mathilde ; son père ne peut vivre sans elle, et elle sans moi. » ( livre II, chapitre 34)
Mais une disposition de caractère empêche Julien d'être un ambitieux froid et calculateur. Il se laisse emporter par le feu de ses sentiments qui finissent par le gouverner. La tentative d'assassinat sur Madame de Rênal, symptomatique d'un orgueil blessé et d'un amour ardent, mettra ainsi fin à son ascension fulgurante (livre II, chapitre 35) tout en lui donnant une dimension sublime. Refusant de faire appel ou de demander grâce, il ne lui reste qu'une chose à défendre : « Et que me restera-t-il, répondit froidement Julien, si je me méprise moi-même ? J’ai été ambitieux, je ne veux point me blâmer ; alors, j’ai agi suivant les convenances du temps. Maintenant, je vis au jour le jour. Mais à vue de pays, je me ferais fort malheureux, si je me livrais à quelque lâcheté...». (livre II, chapitre 45).
Notre ambitieux se révèle courageux devant la mort...
Repères à suivre: étude détaillée du Rouge et le Noir (Stendhal)