Analyse-Livres & Culture pour tous
25 Novembre 2021
Dans l’écriture ou la vie* de Jorge Semprun, l’écriture et la mémoire ont parties liées : la vie est en sursis compromettant les chances de résilience.
Repères : résilience : résilience littéraire
Dans l’article précédent, nous avons rappelé la notion de de résilience littéraire et posé la problématique de notre étude : le fait d’écrire, un facteur de résilience ? Après Primo Levi, nous tenterons d’y répondre en nous fondant sur l’acte d’écrire chez Jorge Semprun au travers de son livre, l’écriture ou la vie* (1994).
On a vu dans l’article précédent l’électrochoc qu’a constitué le suicide de Primo Levi pour Jorge Semprun. Nous constaterons aujourd’hui que ce dernier a entrepris une démarche à l’opposé de celle de l’écrivain italien.
C’est en qualité de résistant communiste espagnol que Jorge Semprun a été arrêté en France, puis déporté à Buchenwald. Étudiant brillant en khâgne, il est âgé de 19 ans. Il fait l’expérience de la barbarie nazie, mais aussi de la fraternité. Le jeune homme est affecté au service des statistiques, enregistrant les entrées et les « sorties » des déportés.
Le livre s’ouvre sur la libération de Buchenwald par les alliés. Des soldats américains posent un regard singulier sur lui : « c’est l’horreur de mon regard que révèle le leur, horrifié. » (page 14) Cette nouvelle période le conduit à livrer des témoignage aux alliés avec lesquels il revient à la culture avec des échanges poétiques, ceux-là même qui lui avaient permis de tenir.
À Paris, c’est le lieu d’une angoisse profonde et de l’expérience du déracinement que les fêtes arrosées et les rencontres fugitives et amoureuses tentent de faire oublier. Mais le côté festif ne fait pas le poids face aux souvenirs de Buchenwald, « la mémoire de la mort » (page 201). Cette douleur secrète brûle le jeune homme : « seule la mort volontaire, délibérée, pourrait me distraire de ma mort, m’en affranchir. » (page 205).
La tentation de raconter la vérité de l’expérience concentrationnaire a taraudé Semprun, comme Primo Levi et ce, dès la libération du camp. Il a ainsi en tête le projet de faire le récit de la journée-type du dimanche, à Buchenwald. Mais cette narration n’aboutit pas à l’inverse de l’écrivain italien. L’angoisse l’en empêche : écrire, c’est souffrir.
« Le bonheur de l’écriture, je commençais à le savoir, n’effaçait jamais ce malheur de la mémoire. » (page 212)
L’écriture et la mémoire ont parties liées au point que la vie paraît dangereusement en sursis ; Semprun doit donc faire un choix.
Dans l’article suivant, nous verrons le choix de Semprun et la défaite apparente de l’écriture.
Source :
*J.Semprun, l’écriture ou la vie, folio, page 14
Repère à suivre : la défaite apparente de l’écriture chez Jorge Semprun