Analyse-Livres & Culture pour tous
22 Octobre 2021
Roman largement autobiographique, Le Petit Chose de Daudet narre les tourments d’un jeune garçon aux prises avec les vicissitudes de la vie : il considère que sa naissance est la cause des difficultés rencontrées par sa famille.
Repères : résilience : littérature résiliente
Il a été question de voir le sens et la portée d’une littérature résiliente dans le genre romanesque. Les axes d’analyse suivants ont été proposés :
Dans l’article précédent, nous avons évoqué l’attachement, voyons aujourd'hui le point relatif à la sensibilité exacerbée. Nous puiserons pour ce faire dans une œuvre célèbre, le Petit Chose de Daudet publié en 1868.
Roman largement autobiographique, ce livre narre les tourments d’un jeune garçon aux prises avec les vicissitudes de la vie. C’est une œuvre que nous avions évoquée dans nos colonnes au sujet de l’école notamment : rappelons que le personnage principal, Daniel, est contraint d’être pion dans un collège.
Le Petit Chose, surnom largement péjoratif, exprime en vérité toute cette fragilité. Il faut relire l’incipit de cette œuvre pour voir la première cause de son tourment.
Ce n’est pas la déconfiture financière de l’entreprise paternelle qui est la première difficulté rencontrée par le narrateur. Non, c’est sa naissance ainsi qu’il l’écrit dans l’incipit. Il considère qu’il est la cause des difficultés de sa famille. On note ainsi le travail de remémoration effectué par le narrateur. Il mesure le poids du destin pesant sur ses frêles épaules.
« Je suis né le 13 mai 18…, dans une ville du Languedoc où l’on trouve, comme dans toutes les villes du Midi, beaucoup de soleil, pas mal de poussière, un couvent de carmélites et deux ou trois monuments romains.
Mon père, M. Eyssette, qui faisait à cette époque le commerce des foulards, avait, aux portes de la ville, une grande fabrique dans un pan de laquelle il s’était taillé une habitation commode, tout ombragée de platanes, et séparée des ateliers par un vaste jardin. C’est là que je suis venu au monde et que j’ai passé les premières, les seules bonnes années de ma vie. Aussi ma mémoire reconnaissante a-t-elle gardé du jardin, de la fabrique et des platanes un impérissable souvenir, et lorsque à la ruine de mes parents il m’a fallu me séparer de ces choses, je les ai positivement regrettées comme des êtres.
Je dois dire, pour commencer, que ma naissance ne porta pas bonheur à la maison Eyssette. La vieille Annou, notre cuisinière, m’a souvent conté depuis comme quoi mon père, en voyage à ce moment, reçut en même temps la nouvelle de mon apparition dans le monde et celle de la disparition d’un de ses clients de Marseille, qui lui emportait plus de quarante mille francs ; si bien que M. Eyssette, heureux et désolé du même coup, se demandait, comme l’autre, s’il devait pleurer pour la disparition du client de Marseille, ou rire pour l’heureuse arrivée du petit Daniel… Il fallait pleurer, mon bon monsieur Eyssette, il fallait pleurer doublement.
C’est une vérité, je fus la mauvaise étoile de mes parents. Du jour de ma naissance, d’incroyables malheurs les assaillirent par vingt endroits. D’abord nous eûmes donc le client de Marseille, puis deux fois le feu dans la même année, puis la grève des ourdisseuses, puis notre brouille avec l’oncle Baptiste, puis un procès très-coûteux avec nos marchands de couleurs, puis, enfin, la révolution de 18…, qui nous donna le coup de grâce.
https://fr.wikisource.org/wiki/Le_Petit_Chose/Premi%C3%A8re_partie/1
La vie n’est que souffrance pour Daniel qui se lance aussi dans l’écriture sans succès. Il tombe malade, échappe à la mort. Il faut attendre l’excipit de ce roman pour comprendre l’entreprise de résilience.
Daniel se trouve amené à prendre sa vie en main. Il a fait du chemin pour en arriver là. Sa confession durant tout le livre donne tout un pouvoir aux mots ainsi que nous le verrons dans notre étude dédiée.
Pour l’heure, retrouvons celui qui a tant été le « Petit Chose » devenir un… homme :
« Dans le fond de son cœur, le petit Chose donne une dernière larme à ses papillons bleus ; et prenant la pancarte à deux mains, — Voyons ! — sois homme, petit Chose ! — il lit tout haut, d’une voix ferme, cette enseigne de boutique, où son avenir est écrit en lettres grosses d’un pied :
PORCELAINE ET CRISTAUX
Ancienne maison Lalouette
EYSSETTE ET PIERROTTE
SUCCESSEURS »
https://fr.wikisource.org/wiki/Le_Petit_Chose/Deuxi%C3%A8me_partie/16
Dans l’article suivant, nous verrons la question de l’hostilité du milieu, donnée incontournable du processus de résilience.
Repère à suivre : l’hostilité d’un milieu dans la littérature résiliente