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Analyse-Livres & Culture pour tous

Gazette littéraire

La question du lien dans une œuvre de résilience

La littérature évoque cet attachement de manière explicite ou implicite, en vérité ou en l’idéalisant.

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Repères : résilience : littérature résiliente

 

Dans l’article précédent, il a été question de voir le sens et la portée d’une littérature résiliente dans le genre romanesque. Quatre axes d’analyse ont été proposés :

Nous débutons par l’attachement.

 

Attachement

Dans le phénomène de la résilience, la question de l’attachement est un des marqueurs déterminants. Il s’agit d’un lien à un être de référence auquel on confère un rôle décisif dans notre vie, père, mère, nourrice etc. Une figure tutélaire en somme.

Il s’agit d’une première expérience de vie à laquelle on peut toujours se référer. C’est également une expérience que l’on cherche à recréer.

 

Illustrations

Sans entrer dans la psychologie, la littérature évoque cet attachement de manière explicite ou implicite, en vérité ou en l’idéalisant.

Nous allons vous proposer deux illustrations de ce lien vital si nécessaire à la mise en œuvre de la résilience. Nous allons puiser dans le répertoire anglais avec deux enfants du XIXe siècle particulièrement malchanceux. Il s’agit d’Oliver Twist de Charles Dickens et de Jane Eyre de Charlotte Brontë. Débutons avec Oliver Twist et retrouvons la bande-annonce de présentation du film de Roman Polanski de 2005.

 

Amour d’une mère

Dans l’incipit du roman, on assiste à la naissance du héros dans un hospice. Le nouveau-né survit au prix d’un choix de vie influencé par l’amour que sa mère mourante lui témoigne. En quelques mots, Dickens met les mots justes sur cet attachement possible, même s’il est fugace.

« Pendant quelque temps il resta étendu sur un petit matelas de laine grossière, faisant des efforts pour respirer, balancé pour ainsi dire entre la vie et la mort, et penchant davantage vers cette dernière. Si pendant ce court espace de temps Olivier eût été entouré d’aïeules empressées, de tantes inquiètes, de nourrices expérimentées et de médecins d’une profonde sagesse, il eût infailliblement péri en un instant ; mais comme il n’y avait là personne, sauf une pauvre vieille femme, qui n’y voyait guère par suite d’une double ration de bière, et un chirurgien payé à l’année pour cette besogne, Olivier et la nature luttèrent seul à seul. Le résultat fut qu’après quelques efforts, Olivier respira, éternua, et donna avis aux habitants du dépôt, de la nouvelle charge qui allait peser sur la paroisse, en poussant un cri aussi perçant qu’on pouvait l’attendre d’un enfant mâle qui n’était en possession que depuis trois minutes et demie de ce don utile qu’on appelle la voix.

Au moment où Olivier donnait cette première preuve de la force et de la liberté de ses poumons, la petite couverture rapiécée jetée négligemment sur le lit de fer s’agita doucement. La figure pâle d’une jeune femme se souleva péniblement sur l’oreiller, et une voix faible articula avec difficulté ces mots : « Que je voie mon enfant avant de mourir ! »

Le chirurgien était assis devant le feu, se chauffant et se frottant les mains tour à tour. À la voix de la jeune femme il se leva, et s’approchant du lit, il dit avec plus de douceur qu’on n’en eût pu attendre de son ministère :

« Oh ! il ne faut pas encore parler de mourir.

— Oh ! non, que Dieu la bénisse, la pauvre chère femme, dit la garde en remettant bien vite dans sa poche une bouteille dont elle venait de déguster le contenu avec une évidente satisfaction ; quand elle aura vécu aussi longtemps que moi, monsieur, qu’elle aura eu treize enfants et en aura perdu onze, puisque je n’en ai plus que deux qui sont avec moi au dépôt, elle pensera autrement. Voyons, songez au bonheur d’être mère, avec ce cher petit agneau. »

Il est probable que cette perspective consolante de bonheur maternel ne produisit pas beaucoup d’effet. La malade secoua tristement la tête et tendit les mains vers l’enfant.

Le chirurgien le lui mit dans les bras ; elle appliqua avec tendresse sur le front de l’enfant ses lèvres pâles et froides ; puis elle passa ses mains sur son propre visage, elle jeta autour d’elle un regard égaré, frissonna, retomba sur son lit, et mourut ; on lui frotta la poitrine, les mains, les tempes ; mais le sang était glacé pour toujours : on lui parlait d’espoir et de secours ; mais elle en avait été si longtemps privée, qu’il n’en était plus question.

« C’est fini, madame Thingummy, dit enfin le chirurgien.

— Ah ! pauvre femme, c’est bien vrai, dit la garde en ramassant le bouchon de la bouteille verte, qui était tombé sur le lit tandis qu’elle se baissait pour prendre l’enfant. Pauvre femme ! »

https://fr.wikisource.org/wiki/Oliver_Twist/Chapitre_1

 

Idéalisation

Dans Jane Eyre de Charlotte Brontë, on assiste à une entreprise de d’idéalisation d’un contexte familial. La jeune enfant de dix ans se recrée un passé dans lequel un lien prévaut, celui de son oncle pour elle. Il s’agit pour l’héroïne d’imaginer qu’elle a pu être sujet d’une affection par quelqu’un dans ce monde.

 

« Une singulière idée s’empara de moi : je ne doutais pas, je n’avais jamais douté que, si M. Reed eût vécu, il ne m’eût traitée avec bonté ; et maintenant, pendant que je regardais le lit recouvert de blanc, les murailles que l’ombre de la nuit gagnait peu à peu, et que je dirigeais de temps en temps mon regard fasciné vers la glace qui n’envoyait plus que de sombres reflets, je commençai à me rappeler ce que j’avais entendu dire sur les morts qui, troublés dans leurs tombes par la violation de leurs dernières volontés, reviennent sur la terre pour punir le parjure et venger l’opprimé. Je pensais que l’esprit de M. Reed, fatigué par les souffrances de l’enfant de sa sœur, quitterait peut-être sa demeure, qu’elle fût sous les voûtes de l’église ou dans le monde inconnu des morts, et apparaîtrait devant moi dans cette chambre. J’essuyai mes larmes et j’étouffai mes sanglots, craignant que les signes d’une douleur trop violente n’éveillassent quelque voix surnaturelle et consolatrice, ou ne fissent sortir de l’obscurité quelque figure entourée d’une auréole, et qui se pencherait vers moi avec une étrange pitié ; car je sentais bien que ces choses si consolantes en théorie seraient terribles si elles venaient à se réaliser. »

https://fr.wikisource.org/wiki/Jane_Eyre/Chapitre_II

 

Vous pourrez retrouver également la bande annonce du film tiré de ce roman.

 

Dans l’article suivant, nous verrons que cet attachement fait naître une sensibilité du héros.

 

Repère à suivre : sensibilité du héros

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