Analyse-Livres & Culture pour tous
25 Novembre 2021
Dans Leben ? oder Theater ? (Vie ? ou théâtre ?), Charlotte Salomon livre sa vie au travers de ses gouaches et de ses mots. Nous donnerons des précisions sur la composition, le titre et le plan de cette œuvre unique en son genre.
Repères : thème de la résilience : art/résilience
Dans l'article précédent, il a été question de l'obsession de David Foenkinos pour Charlotte Salomon qui a conduit à la publication en 2004 de son roman intitulé, Charlotte.
Nous verrons que ce livre s'appuie sur une œuvre originale de l'artiste unissant dessins et mots, Leben ? oder Theater ? (Vie ? ou théâtre ?). Nous donnerons des précisions sur la composition, le titre et le plan de cette œuvre unique en son genre.
Charlotte Salomon est une artiste peintre allemande née à Berlin en 1917 et décédée à Auschwitz en 1943.
Profondément influencée par les atrocités de son temps, elle est connue pour son œuvre autobiographique, Leben ? oder Theater ? (Vie ? ou théâtre ?), composée en 1942 à 25 ans.
Charlotte Salomon confie son œuvre au médecin de Villefranche-Sur-Mer, la ville de son exil, dans une mallette et lui aurait dit : « Prenez-en soin, c’est toute ma vie. »
Cette œuvre produite en 18 mois seulement retrace le destin de sa famille prédestinée à la tragédie qui peut s'analyser comme un moyen de conjurer le sort.
L’œuvre de Charlotte Salomon est composée de 1325 gouaches de 32,5 x 25cm, dont seulement 769 seront retenues pour composer son recueil. La plupart des planches sont accompagnées de pages écrites avec des papiers calques de la même taille.
Les feuilles sont au format A4, support à la fois disponible à l'époque et facilement transportables en cas de fuite.
Cette œuvre mêlant à la fois écriture et image ressemble à un "story-board" qui retrace le parcours d’une jeune berlinoise juive.
À l’aide de trois couleurs primaires, le rouge, le bleu et le jaune, elle met en scène sa mère, son père et son amour obsessionnel pour Alfred ou encore son exil au sud de la France.
Charlotte Salomon se met en scène, mais ne parle jamais à la première personne. Elle se représente sous le pseudonyme Madame Kann.
La manière de peindre évolue au fil de son œuvre de calme pour devenir enfiévrée : sa volonté d’entreprendre présente un aspect singulier qui se comprend dans le contexte de la persécution juive.
La particularité de son œuvre tient au fait qu’elle est accompagnée de textes descriptifs, de citations littéraires et de références musicales.
C’est en effet également une œuvre musicale : les personnages sont souvent dessinés avec des textes chantés. La musique fait donc émerger les mots et correspondent à un état d’âme.
Le titre doit nous interpeller : Leben ? oder Theater ? (Vie ? ou théâtre ?). Cette double ponctuation en fait une œuvre particulièrement singulière. Que signifie-t-elle ?
Il s'agit d'un questionnement de l'artiste face à sa propre vie prise entre le réel et l'imaginaire. Charlotte Salomon en fait une double interrogation déséquilibrée par la préposition "ou". C'est un titre bancal à l'image de l'instabilité de l'époque. Il ne s'agit pas pour elle de faire un choix entre les deux termes, mais de rendre compte d'un aller-retour entre sa vie et l'interprétation artistique qu'elle en fait.
Charlotte Salomon remet, en effet, tout le fil de l'histoire familiale en perspective avec une scénographie théâtrale. Et elle décide d'occuper une place distanciée dans les évènements qu'elle rapporte : elle en est le metteur en scène.
On peut comprendre que cette œuvre soit un moyen pour elle de maîtriser une histoire tragique et que ce soit aussi un moyen de rompre avec ce déterminisme.
Plan de l'œuvre
Son œuvre se décompose en trois parties :
- La prise de pouvoir des nazis (les juifs qui occupaient des postes importants furent tous renvoyés) -> une planche particulière représente le père de Charlotte chassé de l’université (opération barrée avec une croix rouge),
- Des représentations de sa belle-mère, Paula, une cantatrice très belle et reconnue,
- Sa romance avec le professeur de chant de sa belle-mère,
Dans l’épilogue, Charlotte dessine notamment le suicide de sa grand-mère. Les derniers gouaches manquent de couleur, les formes sont plus contemporaines comme si elle se libérait complètement.
repère à suivre : un déterminisme familial