Analyse-Livres & Culture pour tous
13 Février 2020
Bac 2020 : Le Rouge et le Noir de Stendhal se situe dans un contexte politique déterminé. Précisions les répercussions sociales sur les mœurs de province et sur celles de Paris.
Repères : thème du héros stendhalien : présentation
Dans l’article précédent, nous avons rappelé l’opposition entre la période napoléonienne et la Restauration, les deux époques dont il est fait référence dans ce roman. Aujourd’hui nous verrons les implications politiques et sociales.
Cette œuvre comporte une dimension politique assez complexe qui peut freiner le plaisir de la lecture. Il faut donc comprendre le tableau brossé de deux partis qui se trouvent face à face. Si à de nombreuses reprises, les « libéraux » reviennent dans ce roman, c’est pour mieux les opposer aux « ultras ». Sous Charles X, les premiers se situent dans la mouvance de la Révolution, les seconds dans l’Ancien Régime.
Les libéraux englobent la bourgeoisie qui est la grande gagnante de la Révolution ; ils ont pu s’enrichir et prétendent désormais à occuper plus de responsabilités dans la vie politique. Ce sont des royalistes modérés et siègent dans l’opposition. Ils ont les moyens d’avoir à leur disposition des journaux d’idées et donc de l’influence. Justement, ils se plaignent de des atteintes flagrantes à la lettre et à l’esprit de la Charte royale octroyée par Louis XVIII que Charles X ne tient pour rien.
Aux yeux des ultra-royalistes, les libéraux constituent une véritable menace. Leur arrivée au pouvoir leur fait craindre un nouveau retour à 1793 (cf. partie 1, chapitre 17). Monsieur de Rênal considère en effet : « le parti libéral devient millionnaire, il aspire au pouvoir, il saura se faire des armes de tout. » (partie 1, chapitre 18).
Les ultra-royalistes ont pour chef de file le roi Charles X. À la grande différence de son prédécesseur, il cherche à restaurer la société aristocratique de l’Ancien Régime. Il favorise une presse qui lui est toute acquise, comme la Quotidienne que lit exclusivement madame de Rênal (livre 1, chapitre 11). Bigot, le monarque s’appuie sur l’Église comme pilier du pouvoir et notamment sur la Congrégation, terme qui revient sans arrêt dans ce roman, mais avec l’emploi de son nom commun, la « congrégation ». De quoi s’agit-il ?
C’est une organisation religieuse qui a fait couler beaucoup d’encre. Entre fantasme et réalité, beaucoup de confusion a régné. Stendhal en a fait schématiquement une organisation de franc-maçonnerie catholique dans un passage où il est question de la tenue d’une réunion secrète où se mélangent domestiques et noblesse (1e partie, chapitre 17 in fine). Dans le roman, cette institution est dirigée de main de maître par les jésuites. L’abbé Castanède exerce ainsi le rôle de chef de la police secrète et Monsieur Valenod, a été placé par la congrégation en qualité de directeur de l’hospice.
Le roman ne craint pas de dénoncer les pouvoirs de l’organisation qui peut favoriser ou démettre de leur poste tous les individus (laïcs ou prêtres), au gré de ses seuls intérêts.
Dans le roman de Stendhal, il s’avère que les ultras sont eux-mêmes divisés entre eux. On trouve ainsi ceux qui dénoncent les abus du cléricalisme des jésuites, dont le marquis de La Mole, l’abbé Chélan, et l’abbé Pirard ; les deux derniers, qui sont jansénistes, ont mené une lutte inégale contre la congrégation, l’un a été congédié, l’autre a dû démissionner. Dans ce roman, le jansénisme se comprend comme une doctrine religieuse certes rigoriste, mais plus authentique.
Dans ce roman, la traduction de cette division de la France conduit à constater, avec des termes d’aujourd’hui, que l’ascenseur social est bloqué. La Restauration ainsi vue suscite de la frustration pour les perdants et de l’ennui pour les gagnants.
La frustration est un mal du siècle pour ceux qui sont en quête de richesse ou de gloire. Ils sont amenés à demeurer ce qu’ils sont puisque ce régime ne leur ouvre pas de perspective.
La noblesse ultra, quant à elle, s’ennuie lorsqu’elle ne cherche pas à comploter davantage pour conserver son pouvoir.
Cette société bloquée conduit ses membres à dissimuler leurs passions sous les voiles de l’ambition, du calcul et de l’hypocrisie. C’est le mal nécessaire du XIXe siècle comme le dit Julien Sorel lui-même :
« Parlant seul avec moi-même, à deux pas de la mort, je suis encore hypocrite… Ô dix-neuvième siècle ! »
https://fr.wikisource.org/wiki/Le_Rouge_et_le_Noir/Chapitre_LXXIV
Tel est ainsi le contexte dans lequel notre héros baigne. En sa qualité de petit-bourgeois à l’esprit supérieur à sa condition, il aspire à un destin à l’image de Napoléon. Malheureusement pour lui, il est né trop tard. Le rêve de gloire militaire est une chimère dans cette Europe en paix depuis le traité de Vienne de 1815. Il ne lui reste plus que l’Église pour réussir et tant pis s’il n’a ni le goût, ni la foi pour ce faire. Il a en revanche une volonté de fer…
Dans l’article suivant, il sera question de faire la géographie du roman.
Repère : la géographie du roman