Analyse-Livres & Culture pour tous
14 Février 2020
Bac 2020 : Le Rouge et le Noir de Stendhal se situe dans une géographie déterminée. Précisons les lieux arpentés par Julien Sorel entre la province, Paris et l’étranger et voyons ce qu’ils nous disent...
Repères : thème du héros stendhalien : présentation
Dans l’article précédent, nous avons vu les implications politiques et sociales liées au contexte institutionnel de 1830, découvrons ensemble l’itinéraire de ce jeune homme pressé qu’est Julien Sorel.
Si au commencement du roman, Stendhal donne des éléments sur l’époque, pour le clore, il choisit de l’enserrer dans une géographie déterminée. En effet, il prend la peine de préciser que : « pour éviter de toucher à la vie privée, l’auteur a inventé une petite ville de Verrières, et quand il a eu besoin d’un évêque, d’un jury, d’une cour d’assises, il a placé tout cela à Besançon, où il n’est jamais allé. »
Le roman nous offre un double itinéraire diamétralement opposé entre la première et la seconde partie. En effet, il nous est offert un aller-retour saisissant entre la province et Paris. Précisons les choses si vous le voulez bien.
Ville imaginaire, Verrières se trouve dans l’arrondissement judiciaire et religieux de Besançon ; elle prend librement les traits de la ville de Dole. L’incipit la décrit longuement en adoptant une description focale large, les toits, les collines, le Doubs, les montagnes donnant un aspect bucolique. Ce cadre enchanté est brisé par un plan de plus en plus serré sur une ville dont l’entrée est marquée par une industrie bruyante appartenant au maire de la ville, monsieur de Rênal. C’est également une « capitale de province » (Livre 1, chapitre 14) où l’on s’ennuie ferme et dans laquelle on rivalise d’apparences. Si l’on s’y reçoit de manière civile, l’on se juge sans cesse. On convoite le poste de l’autre. Verrières est la ville que Julien veut fuir ; elle est à l’opposé de Vergy.
Situé à la campagne, le domaine de Vergy, lieu de villégiature, symbolise au contraire le calme et la liberté. La nature est inspirante, on ne s’y ennuie jamais avec ses activités en plein air. C’est un cadre où la gaité et l’insouciance règnent en maître. C’est l’endroit idéal pour l’émergence de l’amour. À l’heure du bilan, Julien Sorel se remémore Vergy comme le siège du bonheur perdu.
C’est la « grande ville », la cité administrative qui domine Verrières. Dans sa vision militaire des choses, Julien est heureux de découvrir ses remparts fortifiés et sa citadelle. C’est également un endroit festif avec ses cafés, où l’on peut prendre du bon temps. Peu coutumier du fait, Julien hésite à y entrer (Livre 1, chapitre 24) avant de conter fleurette à une servante. Par contraste, on y trouve le terrible séminaire, sorte de prison, qui est un lieu où règnent brimades et hypocrisie: « Voilà donc cet enfer sur la terre dont je ne pourrai sortir. » (livre 1, chapitre 25). Il doit sa survie à l’emploi de secrétaire du marquis de La Mole à Paris que lui procure l’abbé Pirard.
La seconde partie ouvre sur les malheurs de la campagne tels que Julien Sorel se les imagine le long du trajet qui l’emmène à Paris. Pour Julien, la capitale symbolise avant tout les lieux fréquentés par Napoléon. Aussi entend-il se rendre en pèlerinage à La Malmaison et sur la tombe du maréchal Ney. C’est également à Paris qu’il entre dans le monde. Sa gaucherie provinciale devient un sujet de plaisanterie dans ce milieu aristocratique où règnent un grand conformisme et aussi un ennui infini. Pour s’occuper, on y danse, on s’y bat, on y complote également. Julien éprouve de la jalousie ainsi que de la haine pour le spectacle qui s’offre à ses yeux. C’est enfin à Paris que Julien connaît l’acmé de son destin avec son projet de mariage avec Mathilde de La Mole avant sa chute soudaine. Paris est donc la ville pivot dans ce roman.
Le premier sentiment de Julien Sorel, c’est la « haine » pour ce pays. Souvenir de la trahison de Napoléon par les Anglais (2e partie, livre VII). Londres est décrit en outre comme le haut lieu de « la fatuité » où il faut faire, selon les conseils d’un ami de Londres, le prince Korasoff, « toujours le contraire de ce qu’on attend de vous. » (2e partie, livre VII). Notre héros en retire ainsi des titres de gloire et des leçons pour son avenir.
Strasbourg
Cette ville est l’aboutissement d’un voyage de tous les dangers compte tenu de la conspiration à laquelle participe Julien Sorel. Julien échappe ainsi à l’empoisonnement. C’est à Strasbourg que Julien promène sa tristesse avant d’y recevoir une nouvelle fois les conseils immoraux du prince Korasoff pour reconquérir Mathilde de La Mole (Livre 2, chapitre 24). C’est à Strasbourg où il entre en garnison après avoir obtenu un brevet militaire de son futur beau-père.
Verrières
C’est enfin le lieu du crime commis dans l’église de la ville à l’encontre de madame de Rênal. Julien y est fait prisonnier avant d’être transféré à Besançon.
Besançon
Le Donjon de Besançon abrite la prison de Julien en attente de son procès d’assises. Il y retrouve Madame de Rênal et Mathilde. C’est également à Besançon qu’a lieu l’expérience de l’apaisement de Julien avant son exécution.
On a donc assisté à un aller-retour saisissant entre la province et Paris. Tout commence et tout finit à Verrières et à Besançon. Paris n'est donc pas le lieu de tous les dangers...
Dans un prochain article, nous verrons le thème du temps du livre (Stendhal).
Repère à suivre : Le thème du temps (Stendhal)