Analyse-Livres & Culture pour tous
29 Novembre 2019
Un coup de dés jamais n’abolira le hasard est un poème obscur qui se situe dans une configuration où l’écriture du vers s’effectue sans transcendance.
Repères : thème du silence : étude : forme de langage
Dans l’article précédent, nous avons présenté les enjeux de la poésie de Mallarmé en opposition avec son temps. Voyons aujourd’hui son œuvre intitulée, un coup de dés jamais n’abolira le hasard (1897), publiée deux ans avant sa mort. Cette œuvre originale est remarquable dans sa structure et sa finalité.
Il s’agit d’une œuvre graphique composée de 11 pages doubles qui comprennent des typographies variées. Une trame principale apparaît : Un coup de dés jamais n’abolira le Hasard.
Par ailleurs, des mots passablement décousus, sans ponctuation, se lisent de gauche à droite sur les deux pages.
Dans sa note explicative, le poète nous avertit de la présence du silence:
« Les “blancs”, en effet, assument l’importance, frappent d’abord ; la versification en exigea, comme silence alentour, ordinairement, au point qu’un morceau, lyrique ou de peu de pieds, occupe, au milieu, le tiers environ du feuillet : je ne transgresse cette mesure, seulement la disperse. »
https://fr.wikisource.org/wiki/Un_coup_de_d%C3%A9s_jamais_n%E2%80%99abolira_le_hasard
Il est globalement question d’un « maître » en plein naufrage qui hésite à lancer les dés avant de disparaître dans les flots. Ce poème se place à une période de rupture. On perçoit le monde qui va être englouti et un monde nouveau constitué par le jeter de dés. Il s’agit en fait d’aborder les enjeux de la poésie.
Ce texte s’insère dans le rejet de toute transcendance, le divin résidant seulement en l’homme.
L’idée finale de Mallarmé consiste à dire que « toute pensée émet un coup de dés ». La dimension abstraite et complexe de cette création place le silence en son centre comme l’expression de la pensée parfaite. Il inaugure le destin d’une nouvelle poésie de l’esprit qui marche vers le silence. On assiste à une libération des vers, de sa musicalité traditionnelle. Il reste que ce texte paraît clairement indéchiffrable. Beaucoup ont cherché à l’analyser, d’autres à le décrypter.
Blanchot fait de Mallarmé un auteur en quête d’une littérature absolue et partant vouée à l’échec. Rancière estime, pour sa part, que l’image est un instrument de réflexion destinée à permettre de penser entre les signes. Les deux écoles ne veulent pas entendre parler d’un texte élucidé par un quelconque décryptage.
D’autres considèrent que ce poème est codé. Quentin Meillassoux entreprend lui aussi de décrypter ce code, non pour l’éclairer d’un coup, mais pour le révéler sous une autre forme, encore obscure.
Il relève que le « Nombre » apparaît deux fois dans ce poème. Il s’agit du nombre obtenu au lancer de dés, mais aussi du Nombre dans cette situation dramatique. Il peut s’agir du naufrage du mètre fixe (alexandrin) et de la volonté du poète de le maintenir à flots. Le chiffre 12 apparaît dans ce poème au travers des 11 pages, plus le verso de la dernière. Pour Quentin Meillassoux, l’unique Nombre qui ne peut pas être un autre est 707 tout en reconnaissant que ce chiffrage n’est pas concluant de la volonté même du poète.
Dans l’article suivant, nous verrons d’autres tentatives d’enserrer le silence.
Sources :
L’archive du Coup de dés. Étude critique de la réception de Un Coup de Dés jamais n’abolira le Hasard de Stéphane Mallarmé́ (1897-2007)
http://www.theses.paris-sorbonne.fr/these.thierry.roger.pdf
Jacques Rancière, « The Space of words : from Mallarmé to Broodthaers », Un Coup de Dés, Writing turned Image, An Alphabet of Pensive Language, Generali Foundation, Wien, 2008, p. 208.
Quentin Meillassoux, le nombre et la Sirène, Fayard 2011
repère à suivre : L'enserrement du silence