Analyse-Livres & Culture pour tous
11 Novembre 2019
Dans la littérature, la déficience peut aussi surgir d’une maladie ou d’un accident rendant la communication impossible.
Repères : thème du silence : étude : déficience physique
Dans l’article précédent, nous avons abordé le silence sous l’angle d’une déficience physiologique de naissance, il s’avère que d’autres pages de la littérature ont vu surgir des personnages affectés d’un handicap consécutif à un accident ou à une maladie. Il sera ici question d’évoquer évidemment le héros célèbre de Notre Dame de Paris de Victor Hugo, Quasimodo.
Nous resterons dans le XIXe siècle avec le comte de Monte-Cristo de Dumas qui nous livre le personnage muet de Noirtier-père. Enfin, nous aborderons un récit autobiographique contemporain, le scaphandre et le papillon de Dominique Bauby qui présente un intérêt manifeste dans le cadre de notre étude.
Ce personnage célèbre abandonné au pied de Notre Dame est connu pour ses graves infirmités. On sait moins qu’il feint d’être muet depuis qu’il est devenu totalement sourd au contact des cloches. Quel est donc le rapport ? me direz-vous. Il ne parle plus pour ne pas s’attirer de nouvelles moqueries. Lorsque le silence se révèle un choix de survie…
« Quasimodo était né borgne, bossu, boiteux. C’est à grande peine et à grande patience que Claude Frollo était parvenu à lui apprendre à parler. Mais une fatalité était attachée au pauvre enfant trouvé. Sonneur de Notre-Dame à quatorze ans, une nouvelle infirmité était venue le parfaire ; les cloches lui avaient brisé le tympan, il était devenu sourd. La seule porte que la nature lui eût laissée toute grande ouverte sur le monde s’était brusquement fermée à jamais.
En se fermant, elle intercepta l’unique rayon de joie et de lumière, qui pénétrât encore dans l’âme de Quasimodo. Cette âme tomba dans une nuit profonde. La mélancolie du misérable devint incurable et complète comme sa difformité. Ajoutons que sa surdité le rendit en quelque façon muet. Car, pour ne pas donner à rire aux autres, du moment où il se vit sourd, il se détermina résolument à un silence qu’il ne rompait guère que lorsqu’il était seul. Il lia volontairement cette langue que Claude Frollo avait eu tant de peine à délier. De là il advenait que, quand la nécessité le contraignait de parler, sa langue était engourdie, maladroite, et comme une porte dont les gonds sont rouillés. »
Hugo, Notre Dame de Paris, Livre 4
https://fr.wikisource.org/wiki/Notre-Dame_de_Paris/Livre_quatrième
Dans l’œuvre de Dumas, Noirtier est le père du procureur royaliste Noirtier de Villefort. C’est lui qui s’avère le véritable destinataire de la lettre compromettante qui vaut à Edmond toutes ces années de prison. Retrouvons-le paralysé, incapable de communiquer atteint par le syndrome de locked-in. La scène se déroule dans sa chambre, au moment où un notaire vient pour recueillir son testament. Ce n’est pas facile dans ces conditions de procéder à l’établissement de l’acte.
«— Eh bien ! monsieur, avec deux signes vous acquerrez cette certitude que mon grand-père n’a jamais mieux joui qu’à cette heure de la plénitude de son intelligence. M. Noirtier, privé de la voix, privé du mouvement, ferme les yeux quand il veut dire oui, et les cligne à plusieurs reprises quand il veut dire non. Vous en savez assez maintenant pour causer avec M. Noirtier, essayez.
Le regard que lança le vieillard à Valentine était si humide de tendresse et de reconnaissance, qu’il fut compris du notaire lui-même.
— Vous avez entendu et compris ce que vient de dire votre petite-fille, Monsieur ? demanda le notaire.
Noirtier ferma doucement les yeux, et les rouvrit après un instant.
— Et vous approuvez ce qu’elle a dit ? c’est-à-dire que les signes indiqués par elle sont bien ceux à l’aide desquels vous faites comprendre votre pensée ?
— Oui, fit encore le vieillard.
— C’est vous qui m’avez fait demander ?
— Oui.
— Pour faire votre testament ?
— Oui.
— Et vous ne voulez pas que je me retire sans avoir fait ce testament ?
Le paralytique cligna vivement et à plusieurs reprises ses yeux.
— Eh bien ! monsieur, comprenez-vous, maintenant, demanda la jeune fille, et votre conscience sera-t-elle en repos ? »
Dumas, le comte de Monte Cristo, chapitre 59
https://fr.wikisource.org/wiki/Le_Comte_de_Monte-Cristo/Chapitre_59
Dans la littérature, on doit aussi aborder l’ouvrage remarquable de Dominique Bauby, le scaphandre et le papillon*, écrit en deux mois à l’aide d’un alphabet adapté. L’intérêt du livre réside dans l’évocation pleine de lucidité du syndrome du locked-in, vu de l’intérieur. Pourquoi ce titre ? Dans son prologue, il explique ce choix :
« Le scaphandre devient moins oppressant, et l’esprit peut vagabonder comme un papillon. »
*Bauby, le scaphandre et le papillon, Robert Laffont, prologue
Dans l’article suivant, nous quitterons la sphère de la déficience physique pour évoquer le silence, en termes de révélateur d’une action…
Repère à suivre : le silence, révélateur d’une action