Analyse-Livres & Culture pour tous
20 Octobre 2019
Le fait divers dans la littérature nous permet aussi de découvrir des exercices de style ; débutons avec Alphonse Allais qui prend au mot un de ses lecteurs et accepte de relever un défi.
Repères : fait divers : présentation
Dans l’article précédent, nous avons vu le fait divers comme enjeu poétique, passons à un autre genre littéraire, le pastiche. Nous aborderons aujourd’hui le pari lancé ( vrai ou faux ?) par un lecteur supposé aigri à l’écrivain Alphonse Allais. Avec un humour achevé, ce dernier explique comment il a entrepris de relever le défi.
Défi
« Une lettre reçue la semaine dernière de Chalon-sur-Saône n’a pas laissé que de me piquer au vif.
Mon grincheux correspondant me demande quousque tandem je le raserai avec mes histoires à dormir debout. Il me dénie toute ingéniosité dans les aperçus. La Fantaisie, considère-t-il, m’est à jamais rebelle.
Il ajoute froidement que mon style est saumâtre et galipoteux.
Tous ces reproches ne seraient rien encore sans un post-scriptum venimeux — postale flèche du Parthe — dans lequel il ne me l’envoie pas dire :
« Berner le lecteur est d’un art facile. Gageons, cher monsieur, que vous ne seriez pas foutu (sic) de tourner un simple fait-divers. »
À ce dernier reproche, dois-je l’avouer, mon sang n’a fait qu’un tour (et encore). J’ai trempé dans l’encre mon excellente plume de Tolède et j’ai rédigé, en moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire, un petit lot de faits-divers qui ne sont pas, je m’en flatte, dans une potiche.
Depuis que Laffitte est devenu ministre pour avoir ramassé une épingle dans la cour d’une banque, je ramasse tout, même les défis.
Voici mon petit essai :
ENCORE LES BICYCLETTES
M. le préfet de police, au lieu de pourchasser les bookmakers et les innocentes petites marchandes de fleurs, ferait beaucoup mieux de songer à réglementer les bicyclettes qui, par ces temps de chaleur, constituent un véritable danger public.
Encore, hier matin, une bicyclette s’est échappée de son hangar et a parcouru à toute vitesse la rue Vivienne, bousculant tout et semant la terreur sur son passage.
Elle était arrivée au coin du boulevard Montparnasse et de la rue Lepic, quand un brave agent l’abattit d’une balle dans la pédale gauche.
L’autopsie a démontré qu’elle était atteinte de rage.
Une voiture à bras qu’elle avait mordue a été immédiatement conduite à l’Institut Pasteur."
Alphonse Allais, Faits divers, extrait du livre, Vive la vie !
https://fr.wikisource.org/wiki/Vive_la_vie_!/Faits-divers
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