Analyse-Livres & Culture pour tous
14 Octobre 2019
Le thème du fait divers dans la littérature nous conduit aussi à examiner un sujet qui ne s’y prête guère, l’argumentation. Découvrons sous la plume de Fontenelle, la fameuse histoire d’une dent d’or.
Repères : fait divers : présentation
Dans l’article précédent, nous avons abordé le pastiche, découvrons aujourd’hui que l’argumentation peut aussi user du fait divers pour exposer ses conclusions.
Nous avons choisi de remettre à l’honneur un des textes les plus célèbres du XVIIIe siècle, l’épisode de la dent d’or. De quoi s’agit-il ? Il s’agit d’un récit rapportant l’histoire d’une mystérieuse dent en or qui orne la bouche d’un enfant. Pour le philosophe, ce fait divers imaginaire est un prétexte à une argumentation indirecte. Il développe une thèse rationaliste. Vous constaterez qu’il condamne la superstition qui ne repose sur aucune réalité.
« En 1593, le bruit courut que les dents étant tombées à un enfant de Silésie, âgé de sept ans, il lui en était venu une d'or, à la place d'une de ses grosses dents. Horatius, professeur en médecine à l'université de Helmstad, écrivit, en 1595, l'histoire de cette dent, et prétendit qu'elle était en partie naturelle, en partie miraculeuse, et qu'elle avait été envoyée de Dieu à cet enfant pour consoler les chrétiens affligés par les Turcs. Figurez-vous quelle consolation, et quel rapport de cette dent aux chrétiens, et aux Turcs. En la même année, afin que cette dent d'or ne manquât pas d'historiens, Rullandus en écrit encore l'histoire. Deux ans après, Ingolsteterus, autre savant, écrit contre le sentiment que Rullandus avait de la dent d'or, et Rullandus fait aussitôt une belle et docte réplique. Un autre grand homme, nommé Libavius, ramasse tout ce qui avait été dit sur la dent, et y ajoute son sentiment particulier. Il ne manquait autre chose à tant de beaux ouvrages, sinon qu'il fût vrai que la dent était d'or. Quand un orfèvre l'eût examinée, il se trouva que c'était une feuille d'or appliquée à la dent avec beaucoup d'adresse ; mais on commença par faire des livres, et puis on consulta l'orfèvre.
Rien n'est plus naturel que d'en faire autant sur toutes sortes de matières. Je ne suis pas si convaincu de notre ignorance par les choses qui sont, et dont la raison nous est inconnue, que par celles qui ne sont point, et dont nous trouvons la raison.
Cela veut dire que non seulement nous n'avons pas les principes qui mènent au vrai, mais que nous en avons d'autres qui s'accommodent très bien avec le faux.
Fontenelle, Histoire des Oracles (1687)
Repère à suivre : l’affaire Calas