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Analyse-Livres & Culture pour tous

Gazette littéraire

L'affaire Calas, fait divers

Le thème divers dans la littérature serait lacunaire si l’on omettait de parler de l’affaire Calas. Fait divers survenu en 1762, il a été le cheval de bataille de Voltaire dans sa lutte contre l’intolérance religieuse. 

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 Repères : fait divers : présentation

 

Dans l’article précédent, il a été question du fait divers à l’appui de l’argumentation. Restons encore dans ce genre littéraire et abordons la plus célèbre des affaires judiciaires du XVIIIe siècle mise en lumière par Voltaire : l’affaire Calas.

 

L’affaire Calas

 En 1761, Marc-Antoine Calas est retrouvé pendu chez lui. L’affaire fait grand bruit à Toulouse d’autant qu’une rumeur se lève pour accuser la famille et notamment le père du jeune homme, calviniste, d’avoir assassiné son fils pour l’empêcher de se convertir au catholicisme. L’affaire s’emballe et un procès aboutit à la condamnation de Jean Calas. Le 10 mars 1762, en dépit de ses proclamations d’innocence, ce dernier subit le châtiment de la roue en place publique. Son second fils est banni, sa femme se voit acquittée tandis que ses filles sont emmenées au couvent.

 

Intervention 

Voltaire emploie toute son énergie à faire réviser l’affaire devant le tribunal de Paris. Tous ses efforts concourent à obtenir la révision du litige et la tenue d’un nouveau procès à Toulouse. À l’appui des faits, il rédige un traité sur la toléranceen 1763. Cette campagne incroyable aboutit à ses fins :  en 1765, Jean Calas est entièrement réhabilité.

 

Dans l’extrait qui vous est proposé aujourd’hui, nous nous intéressons à la manière dont ce fait divers est exposé : on constate qu’il écrit pour son époque, mais aussi pour l’avenir. Un témoignage unique.

 « Le meurtre de Calas, commis dans Toulouse avec le glaive de la justice, le 9 mars 1762, est un des plus singuliers événements qui méritent l’attention de notre âge et de la postérité. (…)

Il s’agissait, dans cette étrange affaire, de religion, de suicide, de parricide ; il s’agissait de savoir si un père et une mère avaient étranglé leur fils pour plaire à Dieu, si un frère avait étranglé son frère, si un ami avait étranglé son ami, et si les juges avaient à se reprocher d’avoir fait mourir sur la roue un père innocent, ou d’avoir épargné une mère, un frère, un ami coupables. 

Jean Calas, âgé de soixante et huit ans, exerçait la profession de négociant à Toulouse depuis plus de quarante années, et était reconnu de tous ceux qui ont vécu avec lui pour un bon père. Il était protestant, ainsi que sa femme et tous ses enfants, excepté un, qui avait abjuré l’hérésie, et à qui le père faisait une petite pension. Il paraissait si éloigné de cet absurde fanatisme qui rompt tous les liens de la société qu’il approuva la conversion de son fils Louis Calas, et qu’il avait depuis trente ans chez lui une servante zélée catholique, laquelle avait élevé tous ses enfants. 

Un des fils de Jean Calas, nommé Marc-Antoine, était un homme de lettres : il passait pour un esprit inquiet, sombre, et violent. Ce jeune homme, ne pouvant réussir ni à entrer dans le négoce, auquel il n’était pas propre, ni à être reçu avocat, parce qu’il fallait des certificats de catholicité qu’il ne put obtenir, résolut de finir sa vie, et fit pressentir ce dessein à un de ses amis ; il se confirma dans sa résolution par la lecture de tout ce qu’on a jamais écrit sur le suicide. 

Enfin, un jour, ayant perdu son argent au jeu, il choisit ce ce jour-là même pour exécuter son dessein. Un ami de sa famille et le sien, nommé Lavaisse, jeune homme de dix-neuf ans, connu par la candeur et la douceur de ses mœurs, fils d’un avocat célèbre de Toulouse, était arrivé de Bordeaux la veille ; il soupa par hasard chez les Calas. Le père, la mère, Marc-Antoine leur fils aîné, Pierre leur second fils, mangèrent ensemble. Après le souper on se retira dans un petit salon : Marc-Antoine disparut ; enfin, lorsque le jeune Lavaisse voulut partir, Pierre Calas et lui, étant descendus, trouvèrent en bas, auprès du magasin, Marc-Antoine en chemise, pendu à une porte, et son habit plié sur le comptoir ; sa chemise n’était pas seulement dérangée ; ses cheveux étaient bien peignés : il n’avait sur son corps aucune plaie, aucune meurtrissure. 

On passe ici tous les détails dont les avocats ont rendu compte : on ne décrira point la douleur et le désespoir du père et de la mère ; leurs cris furent entendus des voisins. Lavaisse et Pierre Calas, hors d’eux-mêmes, coururent chercher des chirurgiens et la justice. 

Pendant qu’ils s’acquittaient de ce devoir, pendant que le père et la mère étaient dans les sanglots et dans les larmes, le peuple de Toulouse s’attroupe autour de la maison. Ce peuple est superstitieux et emporté ; il regarde comme des monstres ses frères qui ne sont pas de la même religion que lui. »

Voltaire, Traité sur la tolérance, chapitre 1

 

Repère à suivre : Sublime, trop sublime, Duras

 

 

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