Analyse-Livres & Culture pour tous
17 Octobre 2019
Le fait divers concerne tous les domaines de la littérature. Ainsi la poésie s’en inspire-t-elle notamment avec Guillaume Apollinaire.
Repères : fait divers : présentation
Dans l’article précédent, nous avons évoqué les différents genres littéraires investis par le fait divers. Prenons aujourd’hui la poésie et plus spécialement, celle en vers.
Dans son poème, Chant d’honneur, Apollinaire rapporte un fait divers, prétexte à l’évocation d’une métaphore. Le titre, parfait homophone, joue sur les mots : champ d’honneur avec chant d’honneur.
Le poète s’exprime à la première personne pour louer le sacrifice de ses compagnons d’armes. Pour ce faire, il part d’un fait divers vrai ou supposé relatif au rapt d’enfants qu’il compare à la disparition, toute aussi brutale, des poilus dans les tranchées.
Le champ lexical de l’Art se trouve en creux dans ce poème, lui-même calligramme. Le sens et la forme se tiennent pour exprimer la beauté de ce qui ne dure pas…
Je me souviens ce soir de ce drame indien
Le Chariot d’Enfant un voleur y survient
Qui pense avant de faire un trou dans la muraille
Quelle forme il convient de donner à l’entaille
Afin que la beauté ne perde pas ses droits
Même au moment d’un crime
Et nous aurions je crois
À l’instant de périr nous poètes nous hommes
Un souci de même ordre à la guerre où nous sommes
Mais ici comme ailleurs je le sais la beauté
N’est la plupart du temps que la simplicité
Et combien j’en ai vu qui morts dans la tranchée
Étaient restés debout et la tête penchée
S’appuyant simplement contre le parapet
J’en vis quatre une fois qu’un même obus frappait
Ils restèrent longtemps ainsi morts et très crânes
Avec l’aspect penché de quatre tours pisanes
Depuis dix jours au fond d’un couloir trop étroit
Dans les éboulements et la boue et le froid
Parmi la chair qui souffre et dans la pourriture
Anxieux nous gardons la route de Tahure
J’ai plus que les trois cœurs des poulpes pour souffrir
Vos cœurs sont tous en moi je sens chaque blessure
Ô mes soldats souffrants ô blessés à mourir
Cette nuit est si belle où la balle roucoule
Tout un fleuve d’obus sur nos têtes s’écoule
Parfois une fusée illumine la nuit
C’est une fleur qui s’ouvre et puis s’évanouit
La terre se lamente et comme une marée
Monte le flot chantant dans mon abri de craie
Séjour de l’insomnie incertaine maison
De l’Alerte la Mort et la Démangeaison
Guillaume Apollinaire, Chant d’honneur, extrait du recueil Calligrammes (1918)
https://fr.wikisource.org/wiki/Calligrammes/Chant_de_l’honneur
Repère à suivre : fait divers en prose.