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Analyse-Livres & Auteurs-Culture

La question de l’écriture pour une femme : les préjugés

 

George Sand a été victime des préjugés de son temps concernant le statut des femmes. Ces dernières se voyaient au XIXe siècle attachées exclusivement au soin apporté à leur famille. Il leur était difficile de s'engager dans le monde des Lettres.

 

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Repères :  George Sand  : vie littéraire

 

Dans l’article précédent, nous avons vu les premiers moments de la baronne Dudevant à Paris. Découvrons aujourd’hui son aspiration à écrire, ce qui n’est pas une entreprise aisée surtout pour une femme au XIXe siècle.

 

Conseils littéraires

À ses débuts, Aurore Dudevant sollicite des appuis auprès de personnalités littéraires parisiennes. On lui propose de rencontrer le célèbre Lafayette, mais cette initiative l’effraie. Aurore se cherche un «maître » moins impressionnant pour lui dispenser des conseils. On lui organise ainsi une entrevue avec un homme politique et écrivain, Monsieur de Kératry. Dans l’extrait suivant, il vous est proposé de lire le récit plein de mordant et d’autodérision qu’en fait Aurore Dudevant.

« (…)Il me proposa un de ses collègues à la chambre, M. de Kératry, qui faisait des romans, et qu’il me donna pour un juge fin et sévère. (…)

Dès le lendemain, j’eus rendez-vous chez M. de Kératry à huit heures du matin. C’était bien matin. J’avais les yeux gros comme le poing, j’étais complétement stupide.

M. de Kératry me parut plus âgé qu’il ne l’était. Sa figure, encadrée de cheveux blancs, était fort respectable. Il me fit entrer dans une jolie chambre où je vis, couché sous un couvre-pieds de soie rose très galant, une charmante petite femme qui jeta un regard de pitié languissante sur ma robe de stoff et sur mes souliers crottés, et qui ne crut pas devoir m’inviter à m’asseoir.

Je me passai de la permission et demandai à mon nouveau patron, en me fourrant dans la cheminée, si mademoiselle sa fille était malade. Je débutais par une insigne bêtise. Le vieillard me répondit d’un air tout gonflé d’orgueil armoricain que c’était là madame de Kératry, sa femme.

« Très bien, lui dis-je, je vous en fais mon compliment ; mais elle est malade, et je la dérange. Donc je me chauffe et je m’en vais. — Un instant, reprit le protecteur, M. Duris-Dufresne m’a dit que vous vouliez écrire, et j’ai promis de causer avec vous de ce projet, mais tenez, en deux mots, je serai franc, une femme ne doit pas écrire.— Si c’est votre opinion, nous n’avons point à causer, repris-je. Ce n’était pas la peine de nous éveiller si matin, madame de Kératry et moi, pour entendre ce précepte. »

Je me levai et sortis sans humeur, car j’avais plus envie de rire que de me fâcher. M. de Kératry me suivit dans l’antichambre et m’y retint quelques instans pour me développer sa théorie sur l’infériorité des femmes, sur l’impossibilité où était la plus intelligente d’entre elles d’écrire un bon ouvrage (le Dernier des Beaumanoir apparemment) ; et comme je m’en allais toujours sans discuter et sans lui rien dire de piquant il termina sa harangue par un trait napoléonien qui devait m’écraser.

« Croyez-moi, me dit-il gravement comme j’ouvrais la dernière porte de son sanctuaire, ne faites pas de livres, faites des enfans.— Ma foi, monsieur, lui répondis-je en pouffant de rire et en lui fermant sa porte sur le nez, gardez le précepte pour vous-même, si bon vous semble. »

Histoire de ma vie, Sand, IVe partie chapitre 15 (Pléiade)

https://fr.wikisource.org/wiki/Histoire_de_ma_vie_(Sand,_édition_Gerhard)/Texte_entier3

 

La signature

La question de la signature d’une œuvre est un frein à l’écriture pour les femmes.  Aurore Dudevant a été elle aussi confrontée à ce point. Dès son arrivée à Paris, sa belle-mère lui fait une solennelle mise en garde ainsi qu’elle le rapporte dans l’histoire de ma vie :

« Quant à la baronne Dudevant, ce fut bien lestement emballé, comme nous disions au Quartier latin. Elle me demanda pourquoi je restais si longtemps à Paris sans mon mari. Je lui dis que mon mari le trouvait bon.

« Mais est-il vrai, reprit-elle, que vous ayez l’intention d’imprimer des livres ? — Oui, madame. — Té ! s’écria-t-elle (c’était une locution gasconne qui signifie Tiens ! et dont elle avait pris l’habitude), voilà une drôle d’idée. — Oui, madame. — C’est bel et bon, mais j’espère que vous ne mettrez pas le nom que je porte sur les couvertures de livre imprimées ?— Oh ! certainement non, madame, il n’y a pas de danger. »

Il n’y eut pas d’autre explication. Elle partit peu de temps après pour le Midi, et je ne l’ai jamais revue.

HDMV, chapitre XIV, IVe partie

https://fr.wikisource.org/wiki/Histoire_de_ma_vie_(Sand,_édition_Gerhard)/Texte_entier3

 

On voit donc combien l’exercice de la plume par une femme n’est pas une chose aisée en France dans le premier tournant du XIXe siècle. Il n’en demeure pas moins que rien ne peut décourager notre auteure. Pour cela, elle trouve une idée ingénieuse…

 

Repère à suivre : création d’une association littéraire

 

 

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