Analyse-Livres & Culture pour tous
7 Mai 2019
Le thème du peuple nous oblige à revenir sur le terme lui-même. Le peuple revêt selon l'histoire différents sens. Le populus du Moyen-Âge renvoie à une communauté précise. Laquelle ?
Repères : thème du peuple : présentation
Dans l’article précédent, il a été abordé la représentation abstraite de la notion de peuple dans l’Antiquité romaine. Voyons le particularisme de ce mot, populus, au Moyen-Âge*.
Il s’avère que durant cette période de mille ans, le terme populus était utilisé pour désigner non une population, mais une communauté. L’appartenance d’un être se faisait au travers d’une communauté ordonnée par ses croyances religieuses et par ses préoccupations pour gagner son salut. Les distinctions sociales entre les individus entrent dans ce schéma préétabli. On parle ainsi de peuple de Dieu tel que St Augustin l’évoque déjà dans la Cité de Dieu.
« L’espèce humaine, représentée par le peuple de Dieu, peut être assimilée à un seul homme dont l’éducation se fait par degrés. La suite des temps a été pour ce peuple ce qu’est la suite des âges pour l’individu, et il s’est peu à peu élevé des choses temporelles aux choses éternelles, et du visible à l’invisible ; et toutefois, alors même qu’on lui promettait des biens visibles pour récompense, on ne cessait pas de lui commander d’adorer un seul Dieu, afin de montrer à l’homme que, pour ces biens eux-mêmes, il ne doit point s’adresser à un autre qu’à son maître et créateur. »
St Augustin, la Cité de Dieu, chapitre 14
https://fr.wikisource.org/wiki/La_Cité_de_Dieu_(Augustin)/Livre_X/Chapitre_XIV
À partir de l’essor des villes au XIIIe siècle, le terme populus a changé notablement de sens. Il ne sert plus qu’à évoquer les petites gens, autrement appelés les menus ou les communs, ainsi qualifiés en vertu de leur infériorité sociale ou de leur métier. Ils apparaissent donc comme les plus pauvres de la ville.
Voyons sous la plume d’un poète, Rutebeuf, qui a connu lui aussi la misère, la description de ce populus,ces ribauts, c’est-à-dire les miséreux.
Il le fait de manière moqueuse en les interpellant au vu de leur tenue sale et dépenaillée, avec leurs sabots abimés…(traduction ci-après) :
Ribaut, or estes-vos à point :
Li aubre despoillent lor branches
Et vos n’aveiz de robe point ;
Si en aureiz froit à voz hanches,
Queil vos fussent or li porpoint
Et li seurquot forrei à manches.
Vos aleiz en estei si joint,
Et en yver aleiz si cranche,
Vostre soleir n’ont mestier d’oint,
Vos faites de vos talons planghes.
Les noires mouches vos ont point,
Or vos repoinderont les blanches[1].
Explicit.
« Ribauds, vous êtes maintenant à point. Les arbres dépouillent leurs branches et vous n’avez point de robe : vous en aurez froid à vos hanches, quels que soient vos pourpoints et vos surcots fourrés à manches. Vous paraissez aussi fiers en été qu’en hiver vous êtes honteux. Vos souliers n’ont pas besoin d’être graissés, vos talons vous servent de semelles. Si les mouches noires vous ont piqués, bientôt ce sera le tour des blanches. »— Par les noires mouches je crois qu’il faut entendre : les puces, qui viennent surtout durant l’été, et par les blanches… le dirai-je ?… les poux. Hors de ce sens, assez peu noble, j’en conviens, je ne vois pas trop ce que pourraient signifier les deux derniers vers du Diz des Ribaux de Greive, non plus que ceux sur le même sujet qui se trouvent, page 26 du présent volume, dans la pièce intitulée De la Griesche d’yver.
Rutebeuf, le dit des ribauds de Grève
https://fr.wikisource.org/wiki/Rutebeuf_-_Œuvres_complètes,_1839/Li_diz_des_ribaux_de_Greive
Dans un prochain article, nous aborderons la notion de peuple au temps de la monarchie absolue.
repère à suivre : le peuple au temps de la monarchie absolue.