24 Mai 2019
Le populisme dans la littérature s'articule autour du caractère indéfini du peuple. L'aspect péjoratif transparaît dans l'Or de Cendrars et le caractère misérabiliste dans la guerre des pauvres d'Eric Vuillard.
Repères : thème du peuple : étude
Il a été présenté dans l’article précédent la problématique de l’étude, qui se définit comme suit : comment décrire la colère du peuple et les ressorts populistes sous-jacents ?
Nous tenterons d’y répondre au travers de la lecture des deux romans suivants :
Aujourd’hui, nous nous intéresserons à la question du peuple évoqué par chacun des deux auteurs. Chez Cendrars comme chez Éric Vuillard, le peuple est figuré par son caractère indéfini ; c’est une vaste foule. Reprenons cet élément dans le détail.
C’est bien une foule indéterminée qui est l’archétype du peuple chez Cendrars. Elle est l’un des personnages principaux de l’action, puisqu’elle est à l’origine de bien des péripéties. Cette foule est présentée sous un jour péjoratif.
On la voit ainsi apparaître menaçante lorsque Suter quitte la Suisse en douce. On la retrouve, en outre, dans la cohorte de migrants, « les naufragés du vieux monde » (page 23), qui débarquent jour et nuit aux États-Unis.
Au fil des pages, on assiste rapidement à la dichotomie entre la multitude d’indifférenciés et l’aventurier, c’est-à-dire notre héros, prêt à tout pour réussir. Pour cela, il suivra la route de l’Ouest en dépit de tous ses périls.
En pleine ruée vers l’or, une nouvelle notion émerge avec l’organisation sociale qui se met en place : on ne parle plus d’une foule, mais des « habitants du pays » qui deviennent même, par l’effet du développement des villes, « le pays entier » (page 133), voire la « jeune nation » (page 136). Mais c’est toujours pour le figurer de « bas peuple » lorsque ce n’est pas de « hordes violentes » (page 71) qui détruisent tout.
L’auteur ne consent à définir le peuple que lorsqu’il s’agit d’évoquer son personnel d’exploitation. On assiste alors à une accumulation de détails sur la composition de « ses hommes » : « Mes Indiens (…) mes Canaques, (…) mes bergers, (…) mes planteurs, (…)» (page 90). Il n’en va pas de même avec le récit d’Éric Vuillard ; ce dernier choisit de présenter le peuple sous l’angle victimaire.
Dans la guerre des pauvres, il s’avère que le peuple, lui aussi indifférencié, est présenté cette fois sous un aspect misérabiliste. Il fait figure de victime des puissants.
Si les termes tels que « foule » et « plèbe » (page 12) apparaissent à de nombreuses reprises, on relève également des groupes sociaux, les artisans ou les paysans ou des « misérables ». Ces derniers termes définissent le peuple qui exclut les « patriciens » (page 12), les nobles, les bourgeois et les ecclésiastiques. Cette dichotomie opposant les pauvres contre les riches nourrit le texte de bout en bout.
Par ailleurs à ce peuple, l’auteur lui adjoint l’adjectif pauvre. C’est un mot qui qualifie les gens, avant de devenir un substantif, comme l’indique le titre même de l’ouvrage.
Est aussi accolé au nom peuple, celui de« révolté » (page 31), puisqu’il est question de colères des pauvres contre les grands de ce monde.
Enfin, c’est également un peuple qui parle d’une voix, que ce soit par l’entremise de Müntzer ou, avant lui, des meneurs de révoltes anglais. Ce prêtre allemand s’exprime donc au nom des « petits » (page 45). Mais c’est pour délivrer un message particulier qui revêt aussi un aspect universel. L’orateur part de cette notion de peuple pour évoquer l’individu. Ainsi Müntzer n’invoque plus le bon peuple, mais l’homme : « on est loin du gentil peuple chrétien, cette génération de catéchisme, c’est de l’homme ordinaire qu’il s’agit. » (page 40). C’est un changement de perspective radical.
Dans l’article suivant, nous verrons que le ressort populiste appelle à une révolte soudaine.
Repère à suivre : une soudaine révolte