Analyse-Livres & Culture pour tous
6 Mai 2019
La conception romaine du peuple est aussi une notion sur laquelle il faut revenir. Elle est éloignée de l'acception moderne. Sous la plume de Cicéron, on assiste à une savante construction théorique.
Repères : thème du peuple : présentation
Dans l’article précédent, nous avons évoqué le recours à la démagogie sous l’Antiquité grecque qui persiste aussi sous l’Antiquité romaine notamment avec la fameuse conjuration de Catalina*. Voyons aujourd’hui l’importance du peuple justement dans la conception romaine du pouvoir sous la plume d’un avocat, d’un homme politique et d’un écrivain latin du 1er siècle avant J.-C., Cicéron.
Héritier de la philosophie grecque qu’il a contribué à faire passer au-delà des âges, Cicéron est aussi un penseur critique du traité de Platon, la République. Dans un ouvrage du même nom, il prône, quant à lui, une tout autre conception politique. Il exclut l’égalité entre citoyens, qui est, à ses yeux, à l’origine de la décadence grecque : il explique que l’arithmétique ne fait pas la place à la dignité. Il crée la formule suivante : la chose publique est la chose du peuple. Mais qu’entend-il par peuple ?
Il crée un concept juridico-politique pour nommer le peuple. Il ne s’agit ni d’individus ni de citoyens, mais d’une communauté d’intérêts. Le peuple n’est pas la population, c’est un tout qui s’incarne dans une abstraction, un sujet de droit créé de toute pièce. Il le dit ainsi :
« La chose publique est la chose du peuple ; un peuple n’est pas toute agrégation d’hommes formée de quelque manière que ce soit : mais seulement une réunion cimentée par un pacte de justice et une communauté d’intérêts. La première cause pour se réunir, c’est moins la faiblesse de l’homme, que l’esprit d’association qui lui est naturel. Car l’espèce humaine n’est pas une race d’individus isolés, errants, solitaires ; elle naît avec une disposition qui, même dans l’abondance de toutes choses et sans besoin de secours, lui rend nécessaire la société des hommes. »
Ciceron, De la république, livre I, 25
http://remacle.org/bloodwolf/orateurs/republique1.htm
C’est avec cette représentation juridique du peuple que Rome se targue de gouverner en s’appuyant sur le Sénat et le peuple avec cette fameuse devise latine gravée sur tous les édifices antiques, Senatus Populusque romanus.
Cette construction abstraite conçoit l’inégalité entre les citoyens et la coexistence de cinq groupes divers compris entre les plébéiens et les patriciens avec des statuts et droits particuliers. Il s’agit pour Cicéron que ces groupes s’entendent en recherchant la Concorde.
Ce sont les magistrats qui gouvernent la plus grande part de la cité puisque le peuple a besoin de l’autorité des grands. Ces derniers ne sont pas des représentants du peuple, ni des souverains, mais apparaissent comme des mandataires du peuple. Si on peut y voir une construction visant à dissimuler le poids dominateur d’une élite, il s’agit surtout d’une entreprise théorique mettant pour une bonne raison le peuple au centre du jeu. Elle vise, en effet, à régler la crise politique que vit Rome, cité perdue entre démagogie et lutte acharnée pour le pouvoir entre partis rivaux.
sources :
https://www.persee.fr/doc/mefr_1123-9883_2001_num_113_2_9163
https://www.persee.fr/doc/bude_0004-5527_1975_num_1_2_3319
repère à suivre : le populus du Moyen-Âge