28 Mars 2019
Dans l'écharpe rouge, Yves Bonnefoy essaye de comprendre le sens des fragments écrits des années plus tôt sans qu'il n'arrive à dénouer le nœud de leur inachèvement. Pourquoi ? Quel est leur sens ? Il tente d'apporter une réponse. Une affaire de famille...
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Dans l’article précédent, nous avons évoqué la démarche entreprise par l’auteur pour comprendre le sens des fragments de poèmes inachevés, écrits 45 ans plus tôt. Il reprend l’examen de son histoire. Découvrons aujourd’hui ce qui peut être de nature à les éclairer.
Yves Bonnefoy débute par l’examen comparé des deux branches familiales dont ses parents sont issus. Il relève leur proximité territoriale dans le sud-ouest de la France proche de Toulouse, mais aussi leurs oppositions sociales et culturelles. Il poursuit son analyse en plaçant d’abord la lumière sur le côté maternel. Pourquoi ? Il ne cache pas que c'est la branche familiale qui l’a façonné durablement.
L'auteur évoque ainsi sa mère, Hélène, pleine de vie et volubile. Il revient sur son parcours et sur son refus de continuer ses études d’institutrice : « oui, elle avait déçu le vœu de son père, alarmé ses parents par un choix de vie qui passait encore pour n’être pas, un mot de l’époque, bien convenable, mais elle avait fait cela d’une façon provocante qui signifiait clairement son affection inquiète, et elle avait donc pu revenir à Ambeyrac, régulièrement, sans trop avoir à se justifier, sauf que l’idée qu’elle n’était plus tout à fait digne de son père, l’ami des livres, n’avait sûrement pas quitté sa pensée. » (page 50)
Il comprend ainsi que la femme du fragment se révèle être sa propre mère.
Notons que ce grand-père, instituteur et écrivain à ses heures perdues, qui aspirait à voir sa famille s’élever socialement a nécessairement influencé l’auteur qui a choisi d’embrasser une carrière littéraire. Ce n'est pas sans raison que le petit-fils a choisi de placer ses fragments dans le secrétaire dudit aïeul, preuve d'une filiation choisie…
Après le village de sa mère, le poète s’intéresse ensuite à la famille paternelle, domiciliée à une vingtaine de kilomètres.
Il évoque son père Élie, particulièrement taiseux, élevé au petit séminaire avant d’en partir pour devenir maréchal-ferrant, puis enfin cheminot à Tours. Yves Bonnefoy comprend que cet homme était un être de silence. Sans livres et sans imagination, il lui apparaît rétrospectivement en retrait, comme absent du monde : un père frustre qui n'aimait qu'une chose, la terre à jardiner, un homme malade qui décède en 1936.
Il faut attendre le chapitre consacré à Toulouse pour comprendre sa place dans les fragments. Notons que l’auteur ne connaît pas bien cette ville dans laquelle il n'a aucune attache. Il lui faut donc rechercher dans sa mémoire pour en analyser tout le symbole. Il trouve ce qu'il cherche. Toulouse fait figure de lien entre les deux villages de sa famille.
Il réalise ainsi que : « la chambre d’hôtel à Toulouse est l’allégorie de la vie et du destin de mon père, de l’inquiétude aussi qui était la sienne. » (page 88)
Dans les fragments, le poète a donc fini par identifier son père et sa mère. Il reste à comprendre qui est le vieil homme appelé à faire du tri.
Non sans surprise, il réalise que c’est lui-même. Le titre du fragment, « L’écharpe rouge », évoque la couleur des liens du sang, mais aussi l'enterrement, c'est-à-dire l’obstacle véritable à la concrétisation de l’œuvre. Il s'agit bien pour lui d'une œuvre nécessitant de fouiller à la fois sa mémoire et son inconscient.
Dans ce trio enfin déclaré, on voit un père silencieux, une mère bavarde, il reste à comprendre le rôle du fils…
C’est justement la question de la place du fils que révèle l’analyse des fragments.
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