Analyse-Livres & Culture pour tous
13 Avril 2019
Le thème de Paris dans la littérature comprend un volet politique avec les nombreuse révolutions du XIXe siècle. Ces dernières ont fait naître beaucoup de désillusions à la suite de la répression mise en oeuvre par l'État. La fin d'un rêve...
Repères : thème de Paris : présentation
Nous avons compris que les aspirations à la liberté ont conduit à la contestation du pouvoir sur les barricades. Ils demeurent que ces révolutions donnent lieu aussi à de profondes désillusions. La reprise en main du pouvoir de manière autoritaire met fin au rêve d’un monde meilleur.
En 1848, c’est un poète qui voit sa candidature politique repoussée, c’est également une femme de Lettres qui confessent son désarroi. Pour ces deux personnalités, c’est le temps d’un retour à la littérature.
Lamartine se présente aux élections présidentielles du mois de juin 1848. Les conditions de son échec retentissant sont racontées par un témoin de son temps.
Pour l’homme, la blessure est profonde. Il s’acquitte encore de ses fonctions de député et de ses mandats locaux à la présidence du conseil général de Saône et Loire jusqu’en 1851. Puis durant le Second Empire, il connaît des difficultés financières importantes.
Criblé de dettes, il s’oblige à écrire des œuvres alimentaires dont le Cours Familier de littérature dans lequel il donne un entretien par mois.
Relisons ce que dit l’auteur sur cette période de 1848. On y perçoit les désillusions et l’amertume :
« J’ai renoncé pour toujours à tout rôle ici-bas ; je l’ai fait sans peine, car ce rôle, je vous le dis devant Dieu, ce n’était pas ma personne, c’était ma consigne ; en quittant la scène, il n’est rien tombé de moi avec l’habit. Dans mes déceptions, rien ne m’était personnel ; je travaillais pour l’humanité, j’ai été déçu dans l’humanité. Que Dieu l’assiste ! L’homme n’y peut rien. (…)
C’est que je suis redevenu franchement et exclusivement Homme de lettres ; c’est ce que je vis, grâce à cette passion pour la littérature (…) »
Lamartine, Cours familier de littérature I pages 77-78.
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k29469m/f80.image
Témoin de premier plan de la révolution de février 1848, George Sand écrit pour la presse et crée un journal, la Cause du Peuple, qui ne survit pas à trois numéros. Elle continue sans désemparer dans d’autres revues. Elle devient une activiste politique en défendant le droit à l’insurrection dans les Bulletins de la République.
C’est dire si la répression par Cavaignac contre les ouvriers en juin 1848 lui paraît une trahison et la meurtrit.
Amère, elle rentre à Nohant ; elle reprend la plume sans jamais perdre de vue cette expérience douloureuse. Il vous est proposé de lire la seconde préface du roman de la petite fadette pour mesurer sa profonde désillusion et comprendre la mission qu’elle s’assigne désormais :
« C’est à la suite des néfastes journées de juin 1848, que troublé et navré, jusqu’au fond de l’âme, par les orages extérieurs, je m’efforçai de retrouver dans la solitude, sinon le calme, au moins la foi.Si je faisais profession d’être philosophe, je pourrais croire ou prétendre que la foi aux idées entraîne le calme de l’esprit en présence des faits désastreux de l’histoire contemporaine : mais il n’en est point ainsi pour moi, et j’avoue humblement que la certitude d’un avenir providentiel ne saurait fermer l’accès, dans une âme d’artiste, à la douleur de traverser un présent obscurci et déchiré par la guerre civile.
Pour les hommes d’action qui s’occupent personnellement du fait politique, il y a, dans tout parti, dans toute situation, une fièvre d’espoir ou d’angoisse, une colère ou une joie, l’enivrement du triomphe ou l’indignation de la défaite. Mais pour le pauvre poète, comme pour la femme oisive, qui contemplent les événements sans y trouver un intérêt direct et personnel, quel que soit le résultat de la lutte, il y a l’horreur profonde du sang versé de part et d’autre, et une sorte de désespoir à la vue de cette haine, de ces injures, de ces menaces, de ces calomnies qui montent vers le ciel comme un impur holocauste, à la suite des convulsions sociales.
Dans ces moments-là, un génie orageux et puissant comme celui du Dante, écrit avec ses larmes, avec sa bile, avec ses nerfs, un poème terrible, un drame tout plein de tortures et de gémissements. Il faut être trempé comme cette âme de fer et de feu, pour arrêter son imagination sur les horreurs d’un enfer symbolique, quand on a sous les yeux le douloureux purgatoire de la désolation sur la terre. De nos jours, plus faible et plus sensible, l’artiste, qui n’est que le reflet et l’écho d’une génération assez semblable à lui, éprouve le besoin impérieux de détourner la vue et de distraire l’imagination, en se reportant vers un idéal de calme, d’innocence et de rêverie. C’est son infirmité qui le fait agir ainsi, mais il n’en doit point rougir, car c’est aussi son devoir. Dans les temps où le mal vient de ce que les hommes se méconnaissent et se détestent, la mission de l’artiste est de célébrer la douceur, la confiance, l’amitié, et de rappeler ainsi aux hommes endurcis ou découragés, que les mœurs pures, les sentiments tendres et l’équité primitive, sont ou peuvent être encore de ce monde. Les allusions directes aux malheurs présents, l’appel aux passions qui fermentent, ce n’est point là le chemin du salut : mieux vaut une douce chanson, un son de pipeau rustique, un conte pour endormir les petits enfants sans frayeur et sans souffrance, que le spectacle des maux réels renforcés et rembrunis encore par les couleurs de la fiction.
Prêcher l’union quand on s’égorge, c’est crier dans le désert. Il est des temps, où les âmes sont si agitées qu’elles sont sourdes à toute exhortation directe. Depuis ces journées de juin dont les événements actuels sont l’inévitable conséquence, l’auteur du conte qu’on va lire s’est imposé la tâche d’être aimable, dût-il en mourir de chagrin. Il a laissé railler ses bergeries, comme il avait laissé railler tout le reste, sans s’inquiéter des arrêts de certaine critique. Il sait qu’il a fait plaisir à ceux qui aiment cette note-là, et que faire plaisir à ceux qui souffrent du même mal que lui, à savoir l’horreur de la haine et des vengeances, c’est leur faire tout le bien qu’ils peuvent accepter : bien fugitif, soulagement passager, il est vrai, mais plus réel qu’une déclamation passionnée, et plus saisissant qu’une démonstration classique.
GEORGE SAND. »
https://fr.wikisource.org/wiki/La_Petite_Fadette/Préface
Source :
https://gallica.bnf.fr/blog/12032018/george-sand-et-la-revolution-de-1848
Dans l’article suivant, nous verrons que Paris a donné ses couleurs à la France
Repère à suivre : où il est question du drapeau tricolore