Analyse-Livres & Culture pour tous
5 Mars 2019
Pétrarque a écrit un ouvrage autobiographique appelé, mon secret. Il s'agit d'une œuvre sous forme de dialogues qui met au jour l'état de souffrance du poète consécutif à l'amour impossible qu'il a conçu pour Laure. Crise personnelle et crise religieuse sont liées.
Repères : thème de l’autobiographie : présentation
Dans l’article précédent, nous avons vu la création du genre autobiographique sous la plume de Saint Augustin, découvrons aujourd’hui un grand poète, admirateur de cet auteur. Il s’agit de François Pétrarque que la Gazette avait déjà suivi sur le mont Ventoux dans le cadre d’un tour de France littéraire.
C’est justement au cours de cette escalade effectuée en 1336 que Pétrarque indique avoir connu un choc intérieur.*Avant d’y venir, précisons quelques données biographiques sur l’auteur (1304-1374).
Exilé avec sa famille de Toscane, Pétrarque fait ses études en Provence et à Milan. Il décide d’ embrasser les ordres ecclésiastiques mineurs, ce qui lui permet de percevoir des subsides et de se lancer dans une carrière poétique. Il s’est tourné vers les plaisirs de la vie, ce qui a entraîné un véritable dilemme entre son attachement pour les biens terrestres et le dépouillement induit par sa foi. Dans ce contexte, Pétrarque lit avec passion un livre en particulier qu’il porte sur lui en permanence, les Confessions de Saint Augustin. Il se sent d’une franche proximité avec cet auteur qui a vécu pourtant neuf siècles avant lui.
C’est ainsi que sur le mont Ventoux, il se met à lire un passage qui le bouleverse :
« les hommes s’en vont admirer les cimes des montagnes, les vagues énormes de la mer, le large cours des fleuves, les côtes de l’Océan, les révolutions des astres et ils se détournent d’eux-mêmes. » (Confessions, X, 8)
C’est donc en haut du mont Ventoux qu’il conçoit un ouvrage aux consonances personnelles qu’il écrira néanmoins six ans plus tard en latin et qu’il nomme, mon secret ou du mépris du monde. On appréciera le possessif qui inclut le texte dans le champ de l’autobiographie.
Pétrarque a narré explicitement la rencontre décisive avec la belle Laure qu’il a faite, le 6 avril 1327, en l’église Sainte-Claire d’Avignon. Éconduit, l’auteur a conservé un vif souvenir de cet amour impossible qui envahit à la fois le champ de sa poésie et de sa vie intérieure. La tristesse de la chair ne fait que révéler les tourments de sa vie spirituelle.
Dans Mon secret, on assiste à trois dialogues entre St Augustin et Pétrarque. Dans la préface, le poète fait état d’une vision, la Vérité, qui lui assigne la présence du Père de l’Église pour « veiller » et « consoler » celui qui est malade dans son âme. En réalité, c’est un traitement de choc auquel se livre Saint Augustin au ton particulièrement vif et souvent plein de reproches dans la première partie, avant de l’écouter expliquer son malaise existentiel et spirituel dans le dialogue II.
« S. Augustin. Tu es en proie à un terrible fléau de l’âme, la mélancolie, que les modernes ont nommée acidia, et les anciens ægritudo.
Pétrarque. Le nom seul de cette maladie me fait frémir.
S. Augustin. Sans doute parce que tu en as longtemps souffert.
Pétrarque. Oui, et tandis que dans presque tous les maux qui me tourmentent il se mêle une certaine douceur quoique fausse, dans cette tristesse tout est âpre, lugubre, effroyable ; la route est toujours ouverte au désespoir et tout pousse au suicide les âmes malheureuses. Ajoutez que les autres passions me livrent des assautsfréquents, mais courts et momentanés, tandis que ce fléau me saisitparfois si étroitement qu’il m’enlaceet me torturedes journées et des nuits entières. Pendant ce temps je ne jouis plus de la lumière, je ne vis plus, je suis comme plongé dans la nuit du Tartare, et j’endure la mort la plus cruelle. Mais, ce que l’on peut appeler le comble du malheur, je me repais tellement de mes larmes et de mes souffrances, avec un plaisir amer, que c’est malgré moi qu’on m’en arrache. »
Pétrarque, Mon secret, 2e dialogue, traduction V. Develay
https://fr.wikisource.org/wiki/Mon_secret/Deuxième_Dialogue
Reprenant la Méthode Des 6 GROSSES CLEFS © (cf. code couleur), nous nous arrêterons sur les principaux éléments du style de l’auteur nous permettant de valider les critères propres au genre autobiographique.
On note d’abord la triple identité entre l’auteur, le personnage et le narrateur. Il s’agit bien d’une rétrospection, car si la confession se fait au présent, il est aussi question de témoigner du besoin de narrer la permanence d’une vieille souffrance. L’emploi du je figure aussi dans ce dialogue pour lui donner son caractère intime. Enfin, l’intérêt du texte réside aussi dans le champ lexical qui est celui du combat mortel de l’homme. On voit bien avec quelle acuité l’auteur peut parler de ce que l’on peut appeler de nos jours une dépression peinte au travers des principales figures, à savoir les comparaisons et les oxymores. Il s’agit encore une fois d’un registre littéraire qui appartient au pathétique.
Dans un prochain article, nous verrons le caractère autobiographique d’un célèbre ouvrage de Rousseau…
Sources :
* introduction de V. Develay https://fr.wikisource.org/wiki/Mon_secret/Introduction#cite_note-4
République des Lettres, Pétrarque https://republique-des-lettres.com/petrarque-9782824901145.php
Repère à suivre : Rousseau