Analyse-Livres & Culture pour tous
10 Mars 2019
L'autobiographie envahit aussi un genre apparemment opposé, le roman. Perec, dans son livre, W ou le souvenir d'enfance, nous livre une entreprise de reconstruction qui suit un schéma de narration déterminé : la fiction se mêle alors à l'autobiographie. Une création littéraire.
Repères : thème de l’autobiographie : présentation
Dans l’article précédent, nous avons examiné le genre « autobiographique » au regard du livre de Nathalie Sarraute, Enfance. Nous allons voir aujourd’hui comment ce genre a envahi le champ du roman avec W ou le souvenir d’enfance de Perec.
Ce livre publié en 1975 mélange le genre autobiographique et la fiction au travers d’un schéma de narration se décomposant en deux parties bien différenciées sur le plan visuel (l’un en caractère en italique, l’autre en caractère normal).
On assiste dans la première partie à deux récits écrits à la première personne qui s’intercalent. L’un relatant l’histoire d’un déserteur et usurpateur d’identité appelé Gaspard Winckler, l’autre reprenant les quelques bribes restant d’une difficile autobiographie de l’auteur.
La deuxième partie oublie Winckler pour s’ouvrir brutalement sur la vie impitoyable dans un lieu éloigné, l’île W. Ce récit s'intercale avec la recherche autobiographique poursuivie.
On se trouve donc en présence de trois récits différents qui s’enchevêtrent dans une commune épigraphe de Queneau qui fait le lien entre les parties « brume insensée où s’agitent les ombres ».
Quel est donc le projet du livre ?
Il faut attendre le 8e chapitre de la première partie pour que Perec nous livre son projet :
« Le projet d’écrire mon histoire s’est formé presque en même temps que mon projet d’écrire. »
La naissance de la vocation d’écrivain est intimement liée à la recherche de sa propre histoire. Cette dernière est tragique puisque son père est décédé à la bataille de France en 1940 et que sa mère, qui l’a mis à l’abri en 1942, a été elle-même déportée en Allemagne. Dans le cas de Perec, peu de souvenirs émergent de sa conscience. On peut dire que sa mémoire est à la fois fragmentaire et floue ; il lui faut se mettre au travail pour la recomposer. Dans cette perspective, l’écriture joue un rôle moteur dans la remémoration et de création. Il le dit de manière à la fin du chapitre 8 :
« j’écris parce qu’ils ont laissé en moi leur marque indélébile et que la trace en est l’écriture : leur souvenir est mort à l’écriture ; l’écriture est le souvenir de leur mort et l’affirmation de ma vie. »
Arrêtons-nous sur ce passage à la beauté stupéfiante qui permet de donner de la cohérence à l’ensemble du livre. Reprenons La Méthode Des 6 GROSSES CLEFS ©.
D’emblée, on voit le jeu d’opposition entre le moi et le ils, entre le passé et le présent, la mort et la vie. On notera aussi l’antithèse constituée de la marque indélébile reposant justement sur l’absence de souvenirs.
Les nombreuses répétitions du terme « écrire » et « être » laissent aussi entrapercevoir une entreprise d’autopersuasion. Il faut dire que la conclusion est en effet éloquente.
Il considère que l’absence de souvenirs est à l’origine de sa vocation d’écrivain. Partant, le narrateur se sent délié de toute obligation liée au pacte autobiographique proprement dit.
On comprend alors qu’il arrime son autobiographie à la fiction pour former un tout. Ce tout reste évidemment suspendu à l’instar d’un lieu comme l’île W, et d’une époque réelle ou fictive, tous deux insaisissables : seule l’écriture peut s’en saisir et créer…
Repère à suivre : l’autofiction