Analyse-Livres & Culture pour tous
11 Mars 2019
L'autobiographie peut conduire à un nouveau genre littéraire qui est en vogue : l'autofiction. Il convient de définir cette notion. Puis, nous verrons avec le livre d'Emmanuel Carrère, un roman russe, ce qui se dessine dans ce récit.
Repères : thème de l’autobiographie : présentation
Dans l’article précédent, nous avons vu les libertés prises par Perec dans l’écriture de ses souvenirs, nous poursuivons notre présentation avec le glissement de l’autobiographie vers l’autofiction.
Précisons ce terme effectivement contradictoire d’autofiction. Comme le mot autobiographie, il est issu d’un néologisme utilisé cette fois en 1977 sous la plume de l’écrivain Serge Doubrovsky à la suite de la publication de son livre, Fils.*
C’est à la lecture de l’œuvre de Philippe Lejeune qu’il a conçu son œuvre. Il a estimé que s’il n’existe pas de différence entre l’autobiographie et l’autofiction du point de vue de l’analyse interne du texte, il en existe une de taille du point de la réception du livre.
Le lecteur sait qu’il a affaire à une œuvre littéraire et non plus une confession. Dans l’autofiction, il s’agit en effet de se servir de la matière de sa vie et d’en faire à sa manière une fiction. Par conséquent, le pacte autobiographique n’est plus le même.
Il vous est donné à voir la courte vidéo de Serge Doubrovsky qui explique bien sa notion.
Doubrovsky était loin d’imaginer qu’il allait faire des émules au point de créer un genre bien précis. L’autofiction trouve un public à chaque occasion. Elle se situe dans le prolongement de l’autobiographie traditionnelle et du roman autobiographique du XXe siècle.
À ce sujet, retrouvons Annie Ernaux qui dresse un parallèle intéressant : « avant, le roman autobiographique cherchait surtout à dissimuler l'auteur, aujourd'hui l'autofiction sert à le dévoiler et c'est ça qui intéresse. »**
On notera que ce genre littéraire se trouve désormais bien ancré dans la littérature française. Pour l’illustrer, on pense notamment à un roman russe, d’Emmanuel Carrère qui peut illustrer le propos.
L’auteur livre par le menu détail l’enquête qui le pousse à quitter la France et sa compagne Sophie pour retrouver les traces d’un grand-père russe perdu. Retrouvons, si vous le voulez bien, l’incipit de son roman :
« Le train roule, c’est la nuit, je fais l’amour avec Sophie sur la couchette et c’est bien elle. Les partenaires de mes rêves érotiques sont en général difficiles à identifier, elles sont plusieurs personnes à la fois sans avoir le visage d’aucune, mais cette fois non, je reconnais la voix de Sophie, ses mots, ses jambes ouvertes. »***
Reprenons La Méthode Des 6 GROSSES CLEFS ©, si vous le voulez bien.
Nous voyons que le narrateur décrit un fantasme dans un train la nuit. Le récit, qui est écrit à la première personne du singulier, est largement rétrospectif.
On assiste au déroulé de la scène, mais aussi au débat interne auquel se livre le narrateur, « en général ; mais cette fois non ».
Avec la focalisation interne, le narrateur nous livre un rêve précis qui se distingue de ceux habituels.
On sent que la remémoration qu’il fait au présent est incertaine, il doit la vérifier pour affiner son songe. Le narrateur se livre dans l’intimité de son fantasme qui est de l’ordre de l’existant, du réel, avec l’emploi du verbe être à plusieurs reprises répété.
Tout est aussi retravaillé de manière à en faire une fiction dont le matériau est sa propre vie. On balance donc entre vérité et fiction, ce qui est le signe distinctif et l’inconfort de l’autofiction.
Sources :
*Fils, Doubrovski, folio
** Interview Annie Ernaux et Camille Laurens, Le Monde, 3 février 2011
*** Un roman russe, E. Carrère, POL 2007 page 9.
Repère à suivre : l’étude