Analyse-Livres & Culture pour tous
24 Mars 2019
Dans passagère du silence, Fabienne Verdier revient sur l'art de la calligraphie, son sens et sa portée. Il ne s'agit pas d'une écriture comme les autres, mais d'une véritable philosophie d'une exigence folle. L'autobiographie revêt dans ce contexte un objet, celui de tenter de relier l'Occident à l'Asie.
Repères : thème de l’autobiographie : étude
Dans l’article précédent, on a vu l’étendue du contenu de l’enseignement dispensé à Fabienne Verdier par maître Huang. Il convient aujourd’hui de conclure par le statut de l’écriture. Cette question revêt deux sens dans cette étude. Il s’agit de parler de l’art de la calligraphie, c’est-à-dire de l’écriture d’une pensée philosophique ou poétique. En quoi joue-t-elle un rôle ? Le statut de l’écriture concerne enfin le récit autobiographique. Qu’est-ce que Fabienne Verdier a voulu transmettre par ses mots ? Examinons les deux approches.
On a mesuré la complexité de cet enseignement compris à la fois comme une technique picturale, mais surtout comme une maîtrise de l’esprit. Dans la culture chinoise, le critère esthétique concerne non la recherche de la connaissance et de la vérité, mais uniquement la quête de la sincérité et de l’authenticité.
La calligraphie ou l’art du trait impose une recherche du naturel, ce qui est très compliqué à rendre comme effet. Elle réalise que si le vide qui compose le dessin peut être vu comme un néant en Occident, c’est bien la quête de la vie qui domine dans la pensée chinoise. Pour y parvenir, le peintre doit donc faire silence pour permettre à l’inconscient de parler à la conscience (page 210).
Dans cette perspective, la calligraphie présente d’abord une visée morale. Elle porte ainsi l’empreinte d’un peintre qui, par son trait, suggère de découvrir sa personnalité offerte à celui qui sait lire.
Mais l’art a une fonction aussi proprement esthétique, elle a pour dessein rien de moins que de changer le monde. À ce sujet, Maître Huang dit un jour à son élève : « tu veux aider autrui ? Alors cultive ta peinture, parfais ton art. Tu proposeras aux autres, au lieu de le leur imposer, un fil de pensée, une ouverture sur un ailleurs. » (page 205)
Au chapitre 10, Fabienne Verdier aborde en quelques mots ce qui l’a conduit à rédiger ce récit rétrospectif. C’est un élément incontournable dans le cadre de notre pacte autobiographique. Au-delà de sa propre histoire, elle confesse entre les lignes qu’elle se sent redevable de l’enseignement reçu. Comment ne le serait-elle pas ?
Alors que la jeunesse de l’époque se détourne des traditions, elle s’est sentie dans l’obligation de rendre compte d’une tradition multiséculaire admirable en voie d’extinction. Elle rend ainsi hommage à ses maîtres, « ces passeurs d’éternité, ces héritiers du patrimoine de l’humanité » (page 265).
Dans cette filiation dans laquelle elle s’inscrit sans le dire expressément, elle se qualifie de passagèred’un véhicule*, c’est-à-dire d’un enseignement spirituel fondé sur l’intériorité. Jolie formule elliptique, pleine de poésie.
Pétrie de cette culture, l’artiste a ainsi rendu compte de son histoire singulière, fondatrice de son travail de peintre, mais également de cette culture si riche.
Récit autobiographique
Ce récit lui permet aussi de lancer un pont entre l’Occident et l’Asie ainsi qu’elle l’a fait durant son enseignement à l’aide de ses lectures (Hugo, Nerval, Paul Valery, William Blake etc…) mélangées aux recueils de philosophie ou de poésie chinoises. À de nombreuses reprises, elle a été frappée par la convergence de certaines pensées chinoises avec celles de l’Occident. Laissons une dernière fois la parole à maître Huang, plein de sagesse, qui lui dit : « l’homme est partout l’homme…Seule une expérience historique nous sépare» (page 211).
On voit bien comment cette autobiographie dépasse le singulier pour nous toucher… au cœur.
repère : comprendre la calligraphie
*religion bouddhiste, moyen de transport utilisé par le dieu, et partant différents courants de pensée bouddhistes