Analyse-Livres & Culture pour tous
21 Mars 2019
Dans passagère du silence, Fabienne Verdier nous retrace son expérience extraordinaire en Chine pour apprendre l'art de la calligraphie. Pour cela, elle quitte sa famille et la France et part seule à l'aventure. Pourquoi la Chine ? La découverte de l'art multimillénaire la fascine et la littérature de François Cheng consolide ce qui deviendra une passion dévorante...
Repères : thème de l’autobiographie : étude
Dans l’article précédent, nous avons indiqué le plan de l’étude sur l’autobiographie, caisse de résonance, au travers du récit de Fabienne Verdier, passagère du silence. Nous découvrirons au fils des articles ensemble le sens caché de l’excellent titre de son livre. Pour nous mettre sur la voie, voyons d’abord le fond de l’incroyable aventure menée par cette jeune artiste durant dix années en Chine. On est saisi par le courage de la jeune fille déterminée qui s’élance -seule-en milieu hostile.
En 1983, Fabienne Verdier n’a pas craint de laisser sa famille pour se lancer dans l’aventure calligraphique. Toujours pudique, elle ne s’appesantit pas sur les adieux. Il ne s’agit pas d’un coup de tête, mais d’un projet mûri durant les trois années à l’École des beaux-arts de Toulouse dont elle sort diplômée avec les honneurs. Pourquoi la calligraphie ? C’est à la faveur d’un cours de calligraphie française organisée à rebours de l’enseignement académique que la jeune fille sent une affinité avec cet art dont elle pressent déjà qu’il s’associe à un art de vivre. C’est ensuite la littérature de François Cheng, puis l’éblouissement des maîtres japonais et enfin sa rencontre avec une Chinoise qui lui apprend les rudiments du mandarin, qu’elle peut affirmer qu’« une passion était née » (page 22). Munie d’une autorisation donnée par le Gouvernement chinois assortie d’une bourse lui permettant de vivre, elle est prête à mener une expérience extrême.
À vingt et un ans, Fabienne Verdier quitte donc la France sans savoir qu’elle restera en Chine dix années. Malheureusement, les choses débutent mal. Son escale à Karachi et sa rencontre avec une équipe de hockey tournent au cauchemar, elle est meurtrie dans sa chair. Pourtant, elle ne rebrousse pas chemin. Elle se fait soigner et poursuit son voyage. Elle arrive enfin en Chine.
À sa propre stupéfaction, elle y est reçue avec les honneurs, en sa qualité d’unique étudiante occidentale en Chine.
À ce titre, elle bénéficie d’un traitement de « faveur », une chambre individuelle et des menus différenciés, un luxe dans un pays où tout est collectif. Rapidement, elle se rend compte qu’elle est purement et simplement mise en quarantaine : personne ne lui parle d’autant qu’elle ne comprend pas encore le dialecte chinois qu’on lui interdit au demeurant d’apprendre. Elle fait figure « d’étrangère »que le Parti communiste surveille en réalité étroitement. Pourtant, elle fait tout pour être une étudiante modèle ; elle suit la rude discipline sans broncher.
À l’aube, elle est soumise à un véritable entraînement physique. Elle est aussi soumise aux mêmes contingences matérielles : l’électricité et l’eau sont rationnées. L’enseignement académique qui dure 6 jours sur 7 est d’une rigueur absolue, aucune liberté n’est tolérée. Toute initiative est systématiquement refusée. Obéissants, les étudiants doivent peindre dans les contours étroits de l’idéologie du Parti ; l’art n’est conçu que comme un mode d’expression politique. C’est ainsi que l’on n’enseigne exclusivement que deux domaines, la peinture occidentale que l’on apprend à copier d’une part et les arts et traditions populaires chinois d’autre part. Il s’agit donc d’un programme d’études limité où tout est systématiquement scruté. Les peintres « décadents » dans leurs attitudes ou dans leur art sont ainsi chassés de l’université et envoyés dans des camps de redressement voire en asile psychiatrique. Le portrait brossé par l’artiste de la Chine post-Mao est effrayant à plus d’un titre.
Pour la jeune Française, l’enseignement qu’elle reçoit ainsi que le climat de terreur qui règne de manière ordinaire au sein de l’université du Sichuan sont une franche déconvenue. Par ailleurs, la solitude la ronge, elle dépérit. Au bout de six mois d’étude, elle se ressaisit enfin grâce à une meilleure compréhension de la langue. Elle trouve en elle les ressources nécessaires pour se rebeller ; elle n’hésite plus. Elle gagne… Elle se lance alors dans une expérience d’une radicalité extrême.
Repère à suivre : la radicalité de l’expérience