Analyse-Livres & Culture pour tous
22 Mars 2019
Dans passagère du silence, Fabienne Verdier narre l'expérience de la calligraphie qu'elle a apprise en Chine durant dix années. Elle explique son parcours à l'université et la radicalité de son engagement qui lui a causé maladie, fatigue et souffrances. Son apprentissage l'a, en outre, conduit à connaître isolement, solitude et dépression. Une passion sans limites pour son art.
Repères : thème de l’autobiographie : étude
Dans l’article précédent, nous avons vu la passion de la jeune Fabienne Verdier pour la Chine. Découvrons aujourd’hui la radicalité de l’expérience à laquelle elle décide de se soumettre. Examinons aussi ce qui nous touche dans sa partie proprement humaine.
Fabienne Verdier finit donc par obtenir le droit de vivre comme les Chinois, avec les tickets de rationnement et les repas en commun. Trop heureuse, la jeune fille s’en empare : « Du jour au lendemain, une nouvelle vie commença : je fis la queue avec les autres au réfectoire, ma gamelle numérotée à la main, pour le bol de riz surmonté d’un mets spartiate « destiné à faire descendre le riz » comme on dit ici.» (page 62) Sa socialisation va débuter vraiment.
Abandonnant une bonne partie de ses privilèges, elle décide de vivre radicalement comme les autres étudiants, se préparant au diplôme délivré par l’université. Croyant déjouer la surveillance, elle reste néanmoins sous contrôle permanent.
Ce nouveau statut la rapproche des autres étudiants avec lesquels elle peut désormais s’entretenir couramment. Elle crée des liens, découvre le jeu, s’amuse et tombe amoureuse. Sa connaissance du pays s’ouvre au travers des récits de ses condisciples. Elle prend conscience des ravages de la Révolution culturelle. La jeune femme découvre avec passion les us et coutumes chinois, travaille en vendant ses dessins et voyage dans des provinces reculées. Elle n’en aime que davantage « l’esprit de la pensée chinoise» (page 145).
Elle débute enfin la calligraphie dans les conditions que nous verrons dans l’article suivant. Malheureusement, sans le savoir, elle se met en danger : sa santé est compromise.
Le rythme de travail épuisant, la piètre alimentation et l’alcool ont eu raison de la santé de la jeune femme. Elle s’affaiblit progressivement et n’arrive même plus à travailler. Dans un premier temps, elle est mal soignée avant qu’on lui détecte enfin une maladie au nom énigmatique dont elle comprendra plus tard qu’il s’agit d’une hépatite.
Pour elle, repos absolu durant cinq mois. Entourée de ses amis chinois, elle n’imagine pas une seule seconde rentrer en France ; elle décide, au contraire, de se faire soigner à la chinoise par la médecine traditionnelle. Elle est toute à l’enseignement de la calligraphie qu’elle ne veut pas interrompre. Elle s’y est engagée corps et âme. À son retour à l’université, elle doit obligatoirement boire des soupes imbuvables préparées par sa surveillante qui lui tient lieu de femme de ménage :
« Chaque matin, elle était là avec son balai et sa marmite en terre cuite, et me disait : « Si tu n’avales pas ça, gare à toi. Et surtout, bois chaud ! » (page 157) Le traitement s’avèrera efficace, son foie sera entièrement reconstitué. Un miracle qui émerveillera la médecine occidentale !
Cette expérience de vie menée de manière radicale l’isole de sa famille. La Française, en dépit de ses lettres, n’a rien reçu en retour. Seul son père lui demande de la retrouver à Hong Kong où il mène des affaires. Mais cette rencontre se déroule mal. Après quelques années de séparation, les retrouvailles sont infiniment douloureuses. « Non seulement il ne comprenait rien à ma vie, mais le peu que je possédais, chez lui, en France, il voulait s’en débarrasser ! »(page 161) La radicalité de son choix de vie la laisse donc bien seule. Pourtant, elle ne le ressent pas encore avec toute l’acuité réelle, car elle demeure avant tout happée par sa passion. Il lui faut vivre un événement pour cela.
Un jour, elle reçoit un simple paquet en provenance de France. Heureuse, elle le scrute, le contemple et enfin l’ouvre. C’est son premier signe avec sa vie d’avant. Il contient un œuf de Pâques, ce qui provoque en elle une émotion trop longtemps contenue. Elle exprime ce sentiment avec une rare pudeur et une économie de mots : « J’étais en manque cruel d’amour, de petits signes d’affection venus de « là-bas », et je ne m’en étais pas rendu compte avant l’arrivée du paquet. » (page 161) On apprendra que ce présent venait d’une tante, la seule qui ne l’ait jamais soutenue dans son entreprise radicale.
Loin de la conforter dans ses choix, ce présent la fait douter pour la première fois :
« je suis restée plus de vingt-quatre heures à contempler mon œuf brisé, seule, en larmes, remettant en cause mon existence, me demandant si j’allais continuer à m’infliger longtemps ce régime invivable. » (page 162) Elle restera encore de longues années toutes consacrées à la maîtrise de son art. Elle lui a sacrifié sa santé physique, mais également son équilibre psychique.
Si elle prend conscience de la radicalité de la vie que sa passion a imposée, elle n’en mesurera tous les effets qu’à la suite d’un premier épisode de dépression. En effet, son départ de Chine en 1989 la plonge dans une souffrance intense. Elle se soigne, puis décide de repartir. Elle connaîtra un dernier épisode grave lors de son séjour à Pékin durant lequel elle travaille pour l’ambassade française. Elle devra sa renaissance à l’amour de son mari et de son maître. Ce dernier lui indique la voie de la guérison :
« Il faut que tu aies quelqu’un pour te protéger après ce qui t’es arrivée ces dernières années, m’a dit mon maître. Tu as subi trop de coups, tu es allée trop loin, maintenant tu es malade. Enferme-toi et peins. C’est le seul remède pour recouvrer la santé et le goût de vivre. » (page 298)
Voyons ensemble l’enseignement particulier qui l’a conduite -en toute conscience- à aller au-delà d’elle-même.
Repère à suivre : à la recherche de la maîtrise de l’art.