Analyse-Livres & Culture pour tous
5 Juin 2020
Le thème du jardin dans la littérature, à l'âge classique, revêt une importance littéraire. La lettre de Boileau à son jardinier est à cet égard un chef d'œuvre d'esprit. C'est aussi ce week-end que le Château de Versailles réouvre ses portes en respectant des normes sanitaires strictes.
Repères : thème du jardin : présentation
Le Château de Versailles rouvre ses portes le samedi 6 juin 2020 selon le protocole sanitaire strict qui suit :
C'est l'occasion de redécouvrir la beauté du domaine et de ses jardins en parcourant la fameuse lettre de Boileau, le poète, à son jardinier, Antoine. Il y est question de savoir lequel des deux est le plus fatigué. Chef d'œuvre d'ironie !
Dans l’article précédent, nous avons abordé la question de la vie vue comme un jardin imparfait avec Montaigne, découvrons aujourd’hui la conception d’un auteur du XVIIe siècle.
Précisons que le jardin à la française qui tire son origine du jardin à l’italienne trouve son apogée à cette époque, sous Louis XIV, grand ordonnateur du domaine de Versailles, lieu d’expression de la quintessence de l’art.
Le Nôtre organise une véritable architecture des jardins conçus géométriquement autour d’un axe, à travers une succession de parterres, de bosquets, de fontaines et de canaux. L’époque a aussi vu des progrès en matière d’agronomie avec La Quintinie, qui après son "grand tour" en Italie, se consacre à l'horticulture. Il est le premier à avoir mis en évidence notamment le rôle de la sève ainsi que le système racinaire des arbres.*
Venons-en maintenant au texte de référence qui nous occupe dans la problématique de ce mois. Il s’agit d’une lettre de Boileau à son jardinier.
S’inspirant d’une œuvre d’Horace, écrivain latin du Iesiècle avant JC, Boileau rédige une épitre à son jardinier, appelé Antoine Riquet ou Riqué.
Quel est le but de cette correspondance ?
Si Horace célébrait dans une même ode les travaux des champs et ceux de la ville, Boileau cherche quant à lui démontrer qu’il existe des travaux intellectuels aussi pénibles que les tâches matérielles. Il entend démontrer que les activités de l’esprit ne sont pas des sinécures. Loin de là…
Boileau établit donc un parallèle audacieux entre les deux activités qu’ils considèrent comme identiques sur le plan du labeur : l’esprit en friche de l’écrivain doit être labouré au même titre que le potager confié au jardinier. Il interpelle ce dernier avec l’idée d’intervertir les rôles. Esprit, drôlerie, tout y est …
***
« (…)
Antoine, tu crois donc de nous deux, je le vois,
Que le plus occupé dans ce jardin c’est toi ?
Oh ! que tu changerais d’avis et de langage,
Si deux jours seulement, libre du jardinage,
Tout à coup devenu poète et bel esprit,
Tu t’allais engager à polir un écrit
Qui dit, sans s’avilir, les plus petites choses ;
Fit, des plus secs chardons, des œillets et dos roses ;
Et sût même aux discours de la rusticité
Donner de l’élégance et de la dignité ;
Un ouvrage, en un mot, qui, juste en tous ses termes,
Sût plaire à Daguesseau, sut satisfaire Termes;
Sût, dis-je, contenter, en paraissant au jour,
Ce qu’ont d’esprits plus fins et la ville et la cour !
Bientôt de ce travail revenu sec et pâle,
Et le teint plus jauni que de vingt ans de hâle,
Tu dirais, reprenant ta pelle et ton râteau :
« J’aime mieux mettre encor cent arpens au niveau,
Que d’aller follement, égaré dans les nues,
Me lasser à chercher des visions cornues,
Et, pour lier des mots si mal s’entr’accordans,
Prendre dans ce jardin la lune avec les dents.
Approche donc, et viens ; qu’un paresseux t’apprenne,
Antoine, ce que c’est que fatigue et que peine.
L’homme ici-bas, toujours inquiet et gêné,
Est, dans le repos même, au travail condamné.
La fatigue l’y suit. C’est en vain qu’aux poètes
Les neuf trompeuses Sœurs dans leurs douces retraites
Promettent du repos sous leurs ombrages frais ;
Dans ces tranquilles bois pour eux plantés exprès,
La cadence aussitôt, la rime, la césure,
La riche expression, la nombreuse mesure,
Sorcières dont l’amour sait d’abord les charmer,
De fatigues sans fin viennent les consumer.
Sans cesse poursuivant ces fugitives fées[8],
(…) »
XI. À mon jardinier. Le travail
Épîtres, Imprimerie générale, 1872, Volumes 1 et 2 (p. 329-333).
https://fr.wikisource.org/wiki/Épîtres_(Boileau)/11#cite_note-2
* source : http://www.potager-du-roi.fr/site/pot_histoire/jean_baptiste_la_quintinie.htm
repère à suivre : la culture du jardin (Voltaire)