Analyse-Livres & Culture pour tous
26 Février 2019
La pénétration d'un humain dans le jardin d'Eden présente un risque. Dans le roman de Bosco, l'âne Culotte, une faute va être commise entraînant un exil...
repères : thème du jardin : l’étude
Dans l'article précédent, nous avons vu qu'il faut un héritier digne pour veiller sur ce paradis dans l'âne Culotte d'Henri Bosco, nous constaterons aujourd'hui que la pénétration de l'humain au sein du jardin d’Eden comporte un risque : l’homme est condamné à en être expulsé pour une faute dont la nature amène à rompre l’harmonie. La fin d’un bonheur se transforme dès lors en mythe.
Lorsque Constantin revient en catimini à Fleuriade pour dérober une branche d’amandier, il est surpris par monsieur Cyprien. Ce dernier, au désespoir, se sent trahi. Son héritier putatif viole la règle applicable : dans ce lieu merveilleux, on offre, on ne vole pas.
En agissant ainsi l’enfant ne s’est pas comporté en digne propriétaire, mais en piètre convoiteur d’un bien dont il ne prend pas soin. C’est donc un acte impardonnable. C’est dans ces conditions qu’il n’a plus sa place dans ce jardin dont il est expulsé.
Le Paradis perd alors toute son harmonie lorsque monsieur Cyprien perd littéralement tout espoir :
« Je crains que l’odeur de tout ce sang versé n’ait déjà atteint Belles-Tuiles et n’y ait troublé le serpent. Je le surveille. Il montre quelquefois de sourdes inquiétudes. Transformation à peine perceptible ; mais je connais les Signes de la bête…» (Notes de l’abbé Chichambre, page 203.)
Monsieur Cyprien, dont la raison vacille cette fois totalement, procède à la destruction volontaire du jardin qu’il incendie de ses mains. Le domaine merveilleux redevient alors une friche, un paradis perdu. Pour couronner le tout, la jeune Hyacinthe a disparu dans le même temps au désespoir de la famille Gloriot, rongée par la culpabilité.
On assiste à une perte aussi d’un bonheur dans le roman de Bassani.
Dans le cadre enchanteur du jardin des Finzi-Contini, le narrateur n’a pas réussi à déclarer son amour à la belle Micòl. Cette dernière a quitté Ferrare pour poursuivre ses études et mettre de la distance avec le jeune homme. Pourtant, elle lui écrit, ils se téléphonent. La situation manque pour le moins de clarté. Durant l’hiver, il attend ainsi son retour ; il se rend chez les Finzi-Contini pour respirer le parfum de cet amour d’été.
Impatient, il l’embrasse le jour de son arrivée lui révélant ainsi l’intensité du sentiment qu’il lui porte. Il comprend sans y croire que cette inclinaison n’est pas partagée. Il ne peut s’empêcher de s’obstiner au risque de devenir importun. La jeune fille lui reproche souvent de manquer de dignité ; un jour, excédée, elle décide qu’il ne doit plus venir la voir pendant au moins vingt jours :
« C’était un très dur effort et, bien entendu, j’espérais que tôt ou tard il trouverait une compensation quelconque. Mais vaguement, sans compter vraiment sur celle-ci, sur cette compensation, me contentant pour le moment d’obéir à Micòl et de rester lié par mon obéissance, à elle et aux lieux paradisiaques d’où j’avais été temporairement banni. » (page 308)
Le narrateur connaît donc un exil temporaire. Le terme de paradis n’est employé qu’à ce stade de l’histoire, au moment où il prend toute la mesure de sa perte. Il ne peut cependant tourner la page. Il attend la fin de son bannissement dans une souffrance aigüe. À l’issue de cette période, il constate que cet amour le rend toujours prisonnier de cette femme fière et inaccessible. Enfin, il trouve du réconfort auprès de son père.
Ce dernier lui conseille de ne plus rendre visite aux Finzi-Contini. Il lui dit encore cette métaphore magnifique :
« Dans la vie, si l’on veut comprendre, comprendre vraiment ce que sont les choses de ce monde, il faut mourir une fois au moins. Et alors, étant donné que c’est la loi, mieux vaut mourir jeune, quand on a encore beaucoup de temps devant soi pour se relever et ressusciter… » (page 356)
Dans les deux romans, ces bonheurs impossibles sont narrés au travers d’un témoignage d’une sensibilité extrême.
Chez Henri Bosco, la succession de journaux et de notes permettent au lecteur de retracer le déroulé de la catastrophe alors qu’il s’agit d’une sorte de confession chez Bassani.
L’entreprise de réécriture permet de revivre pleinement l’expérience, sous l’angle de la recherche d’éléments objectifs pour le premier et sous l’angle de l’évocation subjective d’un chagrin d’amour pour le second.
Dans les deux cas, la fixation d’un tel récit tend vers la création d’un même mythe, celui d’un jardin d’Eden manifestement impropre à l’homme…
Repère à suivre : la synthèse