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Analyse-Livres & Culture pour tous

Gazette littéraire

Eden, une tentative de recréation idéalisée (Bosco)

 

 

 

repères : thème du jardin : l’étude

 

Dans l'article précédent, nous avons présenté le sujet de l'étude consacrée au jardin d’Eden comme une une entreprise fugitive, au travers de deux lectures particulièrement riches. Il s’agit de :

  • L’âne Culotte du romancier français Henri Bosco, publié en 1937,
  • Le jardin des Finzi-Contini de Giorgio Bassani, romancier italien, publié en 1962. 

Le premier roman narre le récit malheureux d’un nouveau jardin d’Eden sur les hauteurs des monts provençaux. Le second fait jouer au jardin un rôle de frontière entre deux mondes étanches avant l’arrivée des lois raciales de 1938 et la déportation de ses propriétaires. Il sera question d'aborder aujourd'hui les représentations communes du paradis dans la même tentative de recréation idéalisée.

 

Le jardin merveilleux 

 

Les deux romans nous offrent la contemplation de deux jardins magnifiques qui sont l’œuvre du travail de l’homme. Derrière cette entreprise transparaît une même volonté de sublimer la nature, d’en faire un lieu remarquable. Nous verrons que dans "l’âne Culotte", le jardin merveilleux le dispute au fantasmagorique, alors que les propriétaires du "jardin des Finzi-Contini" ont cherché à créer un parc exceptionnel.

 

Découvrons, dans cet article, le premier jardin, celui de Belles-Tuiles, situé dans la montagne provençale. C'est un lieu étonnant où la faune et la flore s’y retrouvent dans une simplicité et une harmonie unique. Il a été créé dans un dessein particulier…

 

Un lieu interdit

C’est par l’entremise d’un âne étonnant tant par son habillement (il porte un pantalon) que par son intelligence prodigieuse que le jeune Constantin Gloriot est amené à découvrir le jardin merveilleux à deux heures de marche de son domicile. Il s’agit d’un lieu qui lui a été longtemps interdit pour des raisons qui lui ont toujours paru à la fois mystérieuses et évidemment hautement désirables. 

 

C’est donc par un acte de transgression que Constantin franchit le pont, quitte le village pour s’élancer le cœur battant à la découverte d’une propriété qui scellera le destin de sa famille. C’est une inversion de perspective par rapport au récit biblique puisque c’est la pénétration dans ce jardin qui est à l’origine des péripéties en série. Notons aussi qu’il y entre le matin du dimanche des Rameaux, jour ouverture de la Semaine Sainte, sur l’Âne précisément. Ce n’est pas un maigre détail pour la compréhension de l’œuvre, ruisselante en creux de symboles forts. Cet animal merveilleux lui lance une invitation irrésistible en réalité :

 

« Grimpe sur mon dos. Je te porterai jusqu’à Belles-Tuiles. N’aie pas peur, tu peux monter à cru, sans selle. Je n’ai point le dessin de te jeter dans les ronces. Je veux te montrer la montagne…(…) Je t’attendais. Constantin, mettons-nous en route ! (... ) » (récit de Constantin Gloriot page 44)

 

Découvrons-le ensemble.

 

Un jardin harmonieux 

 

Ce jardin clos est unique en son genre, car il offre à la vue un spectacle insolite compte tenu de l’altitude et de l’aridité des lieux. Il est issu d’un environnement a priori hostile : « Quatre murs et tout autour des rocs, des ronces. Terriblement sec et maigre ce Paradis. » (récit de Constantin Gloriot, page 111) Au travers des yeux de Constantin, on découvre le propriétaire, monsieur Cyprien, un vieux marin revenu en France pour un projet que l’on ne connaît pas encore à ce stade de la lecture. 

 

Loin d’être étonné, ce dernier apparaît fort heureux de la venue de l’enfant. Il lui offre aussitôt de faire la visite de son domaine situé derrière la maison : contre les parois de la montagne adossées à des rochers de grandes hauteurs se trouvent des vergers bien protégés, de la vigne, un potager, des amandiers en fleurs. Dans ce lieu magnifique les oiseaux obtiennent un refuge accueillant ; les animaux d’une basse-cour se font aussi entendre.

 

Constantin aperçoit en outre des espèces qu’il n’a jamais vues. Il a l’impression que la faune et la flore cohabitent dans une harmonie totale. 

 

Volubile, le vieil homme lui parle de la nature avec ardeur qui est littéralement ébloui. Cependant, il ne dit pas qu’une menace pèse sur cette unité hautement célébrée : un renard rode et tue et ce à son grand désespoir. Monsieur Cyprien évoque plutôt l’existence d’une autre bête effroyable, appelée « la bête du Jardin… » (récit de Constantin Gloriot, page 91). Au fil de la lecture, on saura qu’il s’agit d’un serpent de plusieurs mètres qui même s’il vit en bonne intelligence avec le reste du vivant porte en lui une menace terrifiante.

Avec ce bref descriptif, on comprend donc qu’il ne s’agit pas de n’importe quel Jardin, ni même de n’importe quel Paradis pour BoscoDans les deux cas, on apprécie la majuscule qui revêt toute son importance.

Fleuriade, un nouveau paradis terrestre

 

De l’aveu de monsieur Cyprien, c’est une tentative de recréation qui est à l’origine de ce projet fou. Son Paradis à lui, il l’appelle Fleuriade dont les portes gardent l’entrée du reste du monde. On peut parler de folie certaine du vieil homme, qui affirme avoir découvert l’emplacement exact du Paradis situé au large des mers. Il va même jusqu’à affirmer : « Le Paradis ! Il n’existe plus, me dit-il. Les blancs y ont finalement abordé. Tout y est mort, et j’ai dû m’enfuir, moi aussi, mais je le garde en moi, ce Paradis ; j’en conserve la force, j’en connais le secret, j’emporte le pouvoir de le faire renaître, partout où je le voudrai même là-bas, en Occident, dans le jardins des barbares. «  (récit de Constantin Gloriot, page 110). 

 

Il faut attendre la deuxième partie du livre pour comprendre qu’il tire de ce Paradis originel des pouvoirs incomparables. Le vieil homme évoque son don pour découvrir une source d’eau bien improbable ; il considère également qu’il sait communiquer avec les bêtes et les plantes.

« 17 septembre. Deux mois à peine que je suis arrivé ici. Déjà l’eau monte du sol, la terre travaille, les bêtes se rassemblent. Au printemps, tout le jardin partira d’un jet. Il jaillira.

J’ai dit les mots ; j’ai fait les gestes. Les mots je les ai prononcés avec la voix juste et l’intonation véritable. Les gestes, ma main les a tracés suivant les prescriptions d’un rituel. »(Journal de monsieur Cyprien page 159 )

 

On est manifestement dans l’ordre de la démiurgie. Il lui reste pour parachever son œuvre à attendre la venue de l’innocent… 

 

Repère à suivre : caractère exceptionnel de l’Eden (Bassani)

 

 

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