27 Janvier 2019
La question du partage dans cette pièce se trouve enfin dans le dernier acte. Le dénouement se fait jour avec l'éternité d'un amour sublimé...
Repère : thème du partage : l’étude
Dans l’article précédent, nous avons étudié le dernier trio amoureux de ce drame. Achevons aujourd’hui avec la question du partage qui trouve toute sa beauté. Rappelons que Mesa est laissé pour mort dans une maison, dans un péril imminent...
Il fait nuit. Seule la lune éclaire la pièce où git Mesa avant qu’il ne se réveille. On assiste alors au mythique cantique de Mesa. Il s’agit de l’hymne d’une créature abandonnée, mais encore combative à l’approche de la mort.
Il revient sur sa blessure première, celle de sa vocation religieuse inaboutie. Il aborde aussi la question de sa fuite dans le péché et dans la souffrance. Ce monologue constitue un appel déchirant d’un homme à la Vie.
« Mais je l’aimais, ô mon Dieu, et elle m’a fait cela !
Je l’aimais et je n’ai point peur de Vous,
Et au-dessus de l’amour
Il n’y a rien, et pas Vous-même !… »
Cantique de Mesa, Acte III
Il conclut par l’appel à Dieu, à la mort et donc à la fin de ses tourments. C’est alors qu’un bruit attire son attention.
Instinctivement, il appelle Ysé. Il sent sa présence ; cette dernière est entrée dans la pièce avant de pousser un cri immense. Il s’agit d’une Ysé toute blanche, personnage qui ressemble à un spectre. Pour Mesa, il a sous les yeux l’image de la femme sur le paquebot au partage de midi, l’heure où tout était alors possible.
La discussion reprend son cours :
« Ysé.—— Mesa, je suis Ysé. C’est moi.
Mesa. —— Est-ce toi-même ?
Que de fois je t’ai vue en rêve ! Est-ce que c’est un rêve encore ? Est-ce que tu vas de nouveau cesser ?
Ysé. — — Ce n’est pas un rêve ; Mesa, les rêves sont finis.
Il n’y a plus que la vérité. »
(Acte III)
C’est un moment unique que vivent les deux amants. Ysé a cessé d’être Ève, la femme orgueilleuse, soumise et blessée. Elle devient la partenaire d’une relation qui se consume à jamais dans le don réciproque et dans la joie. Cet amour est devenu parfait, car il s’enracine aussi dans le pardon et dans une démarche de salut de l’homme par Dieu. Plus rien ne peut les séparer désormais. L’amour victorieux guérit tout.
« Mesa. —— C’est l’amour qui a tout fait. Eh quoi ? N’est-il donc plus pour nous la seule chose bonne et vraie et juste et signifiante ?
Est-ce que les mots ont perdu leur sens ? Et n’appelons-nous plus
Le bien, ce qui facilite
Notre amour, et mal ce qui lui est opposé ? … »
(Acte III)
Cet amour allie le corps à l’âme dans une union réciproque et parfaite. Chacun peut lire dans l’âme de l’autre. À l’heure de la mort qui approche, c’est ce corps donné qui est déployé dans toute la plénitude de sa beauté.
Ysé n’a plus peur, elle conduit en effet Mesa. C’est l’instant où elle apparaît comme l’intermédiaire privilégiée vers l’Éternité d’un amour sublimé.
« … Suis-moi, ne tarde plus !
Grand Dieu ! Me voici, riante, roulante, déracinée, le dos sur la subsistance même de la lumière comme sur l’aile par-dessous de la vague !
O Mesa, voici le partage de minuit ! Et me voici, prête à être libérée,
Le signe pour la dernière fois de ces grands cheveux déchaînés dans le vent de la Mort ! »
Les derniers mots de ce drame sont ceux de la « transfiguration de midi », partage le plus élevé et le plus digne de l’homme.
Repère à suivre : la synthèse (Claudel)