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Analyse-Livres & Culture pour tous

Gazette littéraire

La redécouverte d’une œuvre

La couleur de la vie

 

Repères : thème de la vieillesse : le bac expliqué à ma fille (feuilleton)

Il a été indiqué dans l’article précédent que Zita Leroux réfléchit à une problématique précise sur le thème de la vieillesse et sa représentation dans le cadre de son épreuve d’art du baccalauréat. La jeune fille mûre et sensible se souvient du peintre Teresa BALAZS, personnage hors du commun, sa grand-mère. La jeune fille a convaincu son père d’ouvrir ses archives enfouies dans un grand coffre. Elle découvre ainsi le cheminement de l’artiste au vu des pièces qu’elle examine méticuleusement.

Teresa BALAZS connaît ses premiers succès qui sont aussi vifs que brefs du fait de l’occupation allemande qui coupe net sa progression. Les lois sur le statut des juifs lui font perdre la nationalité française acquise par naturalisation ; elle est contrainte de disparaître du paysage comme tous les membres de l’école de Paris dissoute par la force des choses. Une autre vie s’offre malgré elle. Elle n’a que vingt ans. Elle se réfugie à Montdevergues, dans le Var, dans un asile d’aliénés où elle survit en qualité de fille de salle. La jeune artiste trouve aussi l’occasion de se passionner pour une vieille dame, elle-même anciennement artiste, totalement oubliée : Camille Claudel. Elle la croque à plusieurs reprises avant qu’elle ne meurt en 1943. Teresa en éprouve un chagrin incommensurable, une colère noire. Elle l’écrit dans son journal. Mais pour l’heure, il s‘agit pour l’aïeule de Zita de survivre : elle ne doit sa vie qu’à la faveur de l’indulgence de l’adjoint du directeur qui fait ce qu’il peut avec les moyens quasi nuls en ses mains.

***

La protection d'un juste

Gaston Leroux était entré dans le système de santé par passion. Il choisit par vocation la psychiatrie comme d’autres entrent dans les ordres. Il avait été éduqué avec de nouvelles théories prometteuses. Mais il ne lui fallut guère de temps pour voir qu’on ne change pas en un jour une institution, les anciennes méthodes brutales et irréversibles avaient encore toute leur place dans le traitement des aliénés. Les quinze ans d’exercice professionnels avaient rendus Gaston Leroux bien amer. Trop de résistance de l’Etat encore imperméable à l’accompagnement thérapeutique. Pire trop  d’oppositions de familles désireuses de se débarrasser enfin de leurs proches incontrôlables. Trop de souffrances jamais guéries de part et d’autre. La chimie n’avait pas encore pénétré le monde de la psychiatrie.

Durant cette période troublée de la Guerre, Gaston Leroux avait été en contact avec de nombreux confrères juifs interdits d’exercice. Il les avait placés çà et là dans des établissements sûrs. Le réseau avait ainsi fonctionné à plein, en envoyant non plus du personnel médical, mais tous types de réfugiés. C’est ainsi qu’il fit entrer Teresa dans son établissement en qualité de fille de salle et d’apprenti jardinier. Il s’excusa de ne pas pouvoir lui donner d’autres tâches à effectuer compte tenu de sa qualité d’artiste.

Il trompa les autorités en la présentant comme une nièce. Il la protégeait contre l’horreur du monde par des travaux pénibles. Il chercha comme il put à compenser ce traitement imposé par les circonstances. Il lui permit lors des moments calmes de reprendre ses crayons. Il ne manquait jamais l’occasion de passer dans les salles pour regarder la jeune fille dessiner les pensionnaires. Il se plaisait à regarder le travail sûr de ses mains. Il l’approcha par son art, la seule chose qui restait encore à Teresa. Il se démena pour lui trouver de la couleur, le sel de la vie….

Un sursaut d'humanité

Cette dernière produisit à Montdevergues une œuvre remarquable avec le papier et les crayons que Gaston Leroux sut aussi lui trouver en cette période de pénurie. Audace de l’amour ! Sa sollicitude réchauffait le cœur de l’artiste à côté du travail ingrat face à des êtes abandonnés à eux-mêmes. Teresa chercha elle–aussi un moyen de ne pas sombrer à son tour. Elle trouva dans son art de quoi réenchanter l’institution qui ressemblait davantage à un mouroir. Teresa se dévoua avec l’ardeur de sa jeunesse à cette vérité qu’elle avait sous les yeux, l’étincelle de vie dans le dernier âge. Celle que personne ne voit. Il fallut une artiste, elle-même en sursis, pour mettre à jour dans ces regards absents, ce sursaut d’humanité, de vie. Lorsque vint la fin de la guerre, Teresa elle-même, sous-alimentée, prit poliment congé de Gaston Leroux. Ce dernier ne put la laisser partir et finit par l’épouser. La jeune fille se fit femme. La couleur revint sur l’œuvre du peintre revenue à la vie. La résilience par l’amour.

Mais Teresa ne revit jamais son père qu’elle attendit vainement au Lutetia. Une œuvre pour survivre à l’horreur.  Dès lors,  tout la poussait à se dévouer totalement à son art ; elle exposa régulièrement son travail qui suscita un vif intérêt. On découvrit le caractère novateur de sa réflexion sur la vieillesse. Ce sujet devint même un thème de prédilection pour Teresa qui signa de nombreux autoportraits au cours des deux dernières décennies. Fidélité à une période de sa vie, fidélité à soi-même ! Chaque fois, on notait l’éclat si caractéristique dans les visages magnifiés, colorés. La seule chose qu’elle refusa obstinément de mettre en vente ce furent les œuvres qu’elle fit de Camille Claudel, son révélateur. Son fils unique, János, fut vainement approché à plusieurs reprises pour céder les œuvres après le décès de sa mère. Camille Claudel était en effet redécouverte à sa juste valeur. Pour Zita, les esquisses de la sculptrice ne resteraient plus dans le grand coffre de bois : ils devaient être désormais offerts à la vue du public.

***

Un artiste ne meurt jamais tout à fait

L’oral du baccalauréat  eut lieu au mois de juin. Il s’était répandu comme une traînée de poudre qu’un dossier consacré au peintre Teresa BALAZS serait examiné. Au sein de l’établissement, on vit des demandes inusuelles de participation au jury. Le proviseur dut réfréner des ardeurs. Par ailleurs, la presse spécialisée adressa des demandes à la jeune fille. Teresa BALAZS restait encore trop énigmatique du fait de l’inaccessibilité à ses archives. Le parcours du peintre comprenait encore trop de zones d’ombre.

La pression monta d’un cran à l’approche de l’examen. Zita Leroux comprenait finement l’enjeu de la situation qui dépassait manifestement le cadre de l’examen. Elle chercha à se concentrer sur l’épreuve de fin d’études. Elle soutint son oral en démontrant que la vieillesse offrait un vaste territoire où les plis et les rides, les déformations du corps mises en lumière exprimaient une conquête, un triomphe sur soi-même. Elle chercha à mettre en évidence l’aspect dynamique, de la couleur du travail de Teresa ; elle avait repris comme on le lui avait appris, les trois dimensions dans l’œuvre de sa grand-mère. Ces remarques éclairaient enfin d’un jour nouveau l’œuvre de l’artiste. Il était clair que Teresa BALAZS allait revivre. L’œuvre d’une artiste ne sombre jamais….

M. Aragnieux

 

Sources :

http://www.ecole-de-paris.fr/

http://www.lepoint.fr/c-est-arrive-aujourd-hui/10-mars-1913-camille-claudel-est-jetee-a-l-asile-a-la-demande-de-sa-mere-et-de-son-frere-paul-10-03-2012-1439785_494.php

litteratus, portait de la femme au peignoir, Teresa BALAZS

litteratus, portait de la femme au peignoir, Teresa BALAZS

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