Analyse-Livres & Culture pour tous
27 Avril 2014
Repères : thème de l’industrie : le bac expliqué à ma fille
Tournées vers des idées généreuses de partage de richesses, les convictions politiques du jeune Léopold Rousseau, âgé de dix-sept, avaient surgi à la suite d’une discussion décisive avec son oncle Théophile, lors du réveillon de Noël 2013. Celui qu’on appelait l’original de la famille avait rompu avec son milieu, quitté à trente-cinq ans son emploi de directeur de l’information financière dans un grand groupe pharmaceutique avant d’abandonner le confort d’une vie bourgeoise. En agissant ainsi, il avait ruiné l’espoir que ses parents plaçaient en lui depuis sa naissance. La survie du nom, un beau mariage. Nul ne comprit dans ces conditions ce qui poussa l’enfant chéri de ses parents, le quasi Messie de la famille, à tout balancer par-dessus bord. On ne sut jamais ce qui conduisit, l’héritier de la famille à adhérer au courant altermondialiste. Un nouveau caprice ? Non, celui-ci durait depuis trop longtemps. Avec ses compétences et sa foi de nouveau converti, Théo qui trouvait que son diminutif faisait décidément plus populaire, gravit les échelons pour occuper un poste reconnu dans la communication politique et financière du mouvement anticapitaliste européen. L’ancien bourgeois lyonnais et libéral se fit le chantre d’une autre mondialisation, plus juste, plus égalitaire. Il haïssait l’Occident. Dans sa lutte, il y mettait tout son cœur, n’étant jamais en place, enchaînant les déplacements sur tous les continents. S’exprimant avec aisance en anglais et en espagnol, Théo Favre passait en outre très bien auprès des médias. Ses parents avaient été courroucés de le voir à la télévision française appelant à la lutte contre le modèle capitaliste, critiquant l’Occident égoïste, responsable du dérèglement climatique etc... Leur univers respectif s’étirait dans des sens totalement opposés.
Un oncle original
La colère parentale qui rivalisait en intensité avec celle que leur fils portait en lui comportait aussi beaucoup de gêne et de honte vis-à-vis du petit milieu auquel ils appartenaient. Ils leur étaient difficiles d’assumer les choix radicaux de leur rejeton auprès de personnes qui se moquaient d’eux dans leur dos. Comme ils ne pouvaient pas le comprendre, ils ne pouvaient pas le justifier. Ils se sentaient surtout blessés dans leur amour propre. Où était passé le beau bébé, le bel adolescent promis à un avenir radieux, le fringant jeune homme, celui qui constituait la joie de leur vieillesse ? Cette joie ne résidait plus dans la vision d’un Théo célibataire, à l’allure négligée, à la coupe de cheveux improbable et à la barbe du Messie, finalement le seul point commun avec son ancienne vie comme disait en se moquant sa sœur Frédérique Rousseau, l’aînée de la famille.
Cette dernière connut un net retour de faveurs lorsqu’elle mit au monde un fils, Léopold, sur lequel on reporta toutes les aspirations familiales. Peu importait de savoir où le père de l’enfant avait bien pu partir. Il leur restait le mâle, nouvel espoir de la famille. L’histoire ressert toujours les plats. Frédérique Rousseau fut heureuse de bénéficier de l’intérêt que ses parents lui témoignaient enfin. Même si cela passait par son fils, elle avait remporté la victoire contre son frère cadet. Trente ans de frustration laissent bien des traces. On fit bloc contre Théophile ainsi qu’on persistait à l’appeler avec une pointe de perfidie.
Au fil des ans, le choix de vie de l’altermondialiste finit par être toléré dans le cercle familial. Du look original de Théo, on en vint à le considérer comme l’original de la famille. Les joies du glissement sémantique. Demeurait un fragile lien permettant de maigres échanges mais c’était toujours cela de pris.
C’est dans ces conditions que lors du réveillon de Noël 2013, Théo s’employa comme d’habitude à convertir sa famille qui l’écoutait poliment mais d’une oreille distraite. Cela ne servait à rien de le contredire. On célébrait en ce moment de l’année la concorde familiale. En mal d’auditoire, l’oncle reporta son attention sur son jeune neveu qui passait son baccalauréat et se mit à l’instruire du changement inéluctable dans le cours du monde : la désindustrialisation de l’Europe, sa punition à venir….
Repères à suivre : un neveu prometteur (2)