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Analyse-Livres & Auteurs-Culture

Le mythe de l’amour-passion : Roméo et Juliette (3)

thème mythe de l’amour-passion : Roméo et Juliette (3)

 

Roméo et Juliette, autre réécriture de l'amour-passion

Repères : thème des mythes : présentation

 

Rivalité familiale

Nous voici dans la dernière partie du mythe de l’amour-passion avec la version connue de Shakespeare. Dans l’article précédent, nous avons vu chez Tristan et Iseult, l’ajout du filtre d’amour par rapport à la version originelle, Héloïse et Abélard. Ce filtre d’amour a eu pour effet de rendre deux êtres éperdument amoureux.

Voyons aujourd’hui comment la réécriture du mythe n’a pas utilisé le filtre à cette même fin. En effet, l’attirance de Roméo pour Juliette est patente en dépit des rivalités qui opposent leur famille. Cette situation est également nouvelle dans le mythe. Il est communément admis que Shakespeare s’est inspiré d’une métamorphose d’Ovide*. Mais revenons à notre sujet de départ, l’attraction irrépressible entre ces deux êtres. Elle se révèle au cours d’une entrevue devenue célèbre (et mythique !) où les deux protagonistes se déclarent mutuellement leur flamme. Nous noterons dans la déclaration de Juliette les éléments de l’amour courtois : elle cherche à se faire désirer le plus longtemps possible. L’inaccessibilité est en effet dans sa bouche, source d’amour…

 

Un filtre, des filtres

C’est dans ces circonstances que le filtre ne viendra pas couronner cet amour déjà extrêmement fort ; il jouera un autre rôle en fin de parcours en réalité. Le filtre sera administré à Juliette pour feindre sa mort et empêcher une union avec un homme qu’elle n’aime point. Malheureusement, Roméo nullement averti des pouvoirs du breuvage se donnera la mort à la vue de son aimée. Il se suicidera….

Le filtre n’aura pas pour fonction d’unir les amants, mais bien de les séparer comme vous pourrez le découvrir dans l’acte V.

****

JULIETTE

ô Roméo ! Roméo ! pourquoi es-tu Roméo ? Renie ton père et abdique ton nom ; ou, si tu ne le veux pas, jure de m’aimer, et je ne serai plus une Capulet.

ROMÉO, à part

Dois-je l’écouter encore ou lui répondre ?

JULIETTE

Ton nom seul est mon ennemi. Tu n’es pas un Montague, tu es toi-même. Qu’est-ce qu’un Montague ? Ce n’est ni une main, ni un pied, ni un bras, ni un visage, ni rien qui fasse partie d’un homme… Oh ! sois quelque autre nom ! Qu’y a-t-il dans un nom ? Ce que nous appelons une rose embaumerait autant sous un autre nom. Ainsi, quand Roméo ne s’appellerait plus Roméo, il conserverait encore les chères perfections qu’il possède… Roméo, renonce à ton nom ; et, à la place de ce nom qui ne fait pas partie de toi, prends-moi tout entière.

ROMÉO

Je te prends au mot ! Appelle-moi seulement ton amour et je reçois un nouveau baptême : désormais je ne suis plus Roméo.

JULIETTE

Quel homme es-tu, toi qui, ainsi caché par la nuit, viens de te heurter à mon secret ?

ROMÉO

Je ne sais par quel nom t’indiquer qui je suis. Mon nom, sainte chérie, m’est odieux à moi-même, parce qu’il est pour toi un ennemi : si je l’avais écrit là, j’en déchirerais les lettres.

JULIETTE

Mon oreille n’a pas encore aspiré cent paroles proférées par cette voix, et pourtant j’en reconnais le son. N’es-tu pas Roméo et un Montague ?

ROMÉO

Ni l’un ni l’autre, belle vierge, si tu détestes l’un et l’autre.

JULIETTE

Comment es-tu venu ici, dis-moi ? et dans quel but ? Les murs du jardin sont hauts et difficiles à gravir. Considère qui tu es : ce lieu est ta mort, si quelqu’un de mes parents te trouve ici.

ROMÉO

J’ai escaladé ces murs sur les ailes légères de l’amour : car les limites de pierre ne sauraient arrêter l’amour, et ce que l’amour peut faire, l’amour ose le tenter ; voilà pourquoi tes parents ne sont pas un obstacle pour moi.

JULIETTE

S’ils te voient, ils te tueront.

ROMÉO

Hélas ! il y a plus de péril pour moi dans ton regard que dans vingt de leurs épées : que ton œil me soit doux, et je suis à l’épreuve de leur inimitié.

JULIETTE

Je ne voudrais pas pour le monde entier qu’ils te vissent ici.

ROMÉO

J’ai le manteau de la nuit pour me soustraire à leur vue. D’ailleurs, si tu ne m’aimes pas, qu’ils me trouvent ici ! J’aime mieux ma vie finie par leur haine que ma mort différée sans ton amour.

JULIETTE

Quel guide as-tu donc eu pour arriver jusqu’ici ?

ROMÉO

L’amour, qui le premier m’a suggéré d’y venir : il m’a prêté son esprit et je lui ai prêté mes yeux. Je ne suis pas un pilote ; mais, quand tu serais à la même distance que la vaste plage baignée par la mer la plus lointaine, je risquerais la traversée pour une denrée pareille.

JULIETTE

Tu sais que le masque de la nuit est sur mon visage ; sans cela, tu verrais une virginale couleur colorer ma joue, quand je songe aux paroles que tu m’as entendue dire cette nuit. Ah ! je voudrais rester dans les convenances ; je voudrais, je voudrais nier ce que j’ai dit. Mais adieu, les cérémonies ! M’aimes-tu ? Je sais que tu vas dire oui, et je te croirai sur parole. Ne le jure pas : tu pourrais trahir ton serment : les parjures des amoureux font, dit-on, rire Jupiter… Oh ! gentil Roméo, si tu m’aimes, proclame-le loyalement : et si tu crois que je me laisse trop vite gagner je froncerai le sourcil, et je serai cruelle, et je te dirai non, pour que tu me fasses la cour : autrement, rien au monde ne m’y déciderait… En vérité, beau Montague, je suis trop éprise, et tu pourrais croire ma conduite légère ; mais crois-moi, gentilhomme, je me montrerai plus fidèle que celles qui savent mieux affecter la réserve. J’aurais été plus réservée, il faut que je l’avoue, si tu n’avais pas surpris, à mon insu, l’aveu passionné de mon amour : pardonne-moi donc et n’impute pas à une légèreté d’amour cette faiblesse que la nuit noire t’a permis de découvrir.

ROMÉO

Madame, je jure par cette lune sacrée qui argente toutes ces cimes chargées de fruits !…

JULIETTE

Oh ! ne jure pas par la lune, l’inconstante lune dont le disque change chaque mois, de peur que ton amour ne devienne aussi variable !

ROMÉO

Par quoi dois-je jurer ?

JULIETTE

Ne jure pas du tout ; ou, si tu le veux, jure par ton gracieux être, qui est le dieu de mon idolâtrie, et je te croirai.

ROMÉO

Si l’amour profond de mon cœur…

JULIETTE

Ah ! ne jure pas ! Quoique tu fasses ma joie, je ne puis goûter cette nuit toutes les joies de notre rapprochement ; il est trop brusque, trop imprévu, trop subit, trop semblable à l’éclair qui a cessé d’être avant qu’on ait pu dire : il brille !… Doux ami, bonne nuit ! Ce bouton d’amour, mûri par l’haleine de l’été, pourra devenir une belle fleur, à notre prochaine entrevue… Bonne nuit, bonne nuit ! Puisse le repos, puisse le calme délicieux qui est dans mon sein, arriver à ton cœur !

ROMÉO

Oh ! vas-tu donc me laisser si peu satisfait ?

JULIETTE

Quelle satisfaction peux-tu obtenir cette nuit ?

ROMÉO

Le solennel échange de ton amour contre le mien.

JULIETTE

Mon amour ! je te l’ai donné avant que tu l’aies demandé. Et pourtant je voudrais qu’il fût encore à donner.

ROMÉO

Voudrais-tu me le retirer ? Et pour quelle raison, mon amour ?

JULIETTE

Rien que pour être généreuse et te le donner encore. Mais je désire un bonheur que j’ai déjà : ma libéralité est aussi illimitée que la mer, et mon amour aussi profond : plus je te donne, plus il me reste, car l’une et l’autre sont infinis. (On entend la voix de la nourrice.) J’entends du bruit dans la maison. Cher amour, adieu ! J’y vais, bonne nourrice !… Doux Montague, sois fidèle. Attends un moment, je vais revenir (Elle se retire de la fenêtre.)

ROMÉO

Ô céleste, céleste nuit ! J’ai peur, comme il fait nuit, que tout ceci ne soit qu’un rêve, trop délicieusement flatteur pour être réel.

Juliette revient. 

JULIETTE

Trois mots encore, cher Roméo, et bonne nuit, cette fois ! Si l’intention de ton amour est honorable, si ton but est le mariage, fais-moi savoir demain, par la personne que je ferai parvenir jusqu’à toi, en quel lieu et à quel moment tu veux accomplir la cérémonie, et alors je déposerai à tes pieds toutes mes destinées, et je te suivrai, monseigneur, jusqu’au bout du monde !

 

Roméo et Juliette, Shakespeare (Acte 1 scène VII) traduction François-Victor Hugo

http://fr.wikisource.org/wiki/Rom%C3%A9o_et_Juliette/Traduction_Hugo,_1868

*Pyrame et Thisbé, métamorphoses, Ovide.

 

Repères à suivre : les mythes : l’intertextualité

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R
Le mythe de Roméo & Juliette n'a pas été inventé par Shakespeare. Il s'agit d'une réécriture du mythe d'Ovide : Pyrame & Thisbé. encore la mythologie grècaque, quoi... :D
Répondre
L
<br /> De Shakespeare à Zefirelli ... Du théâtre élizabéthain au cinéma italien .. Le mythe de Roméo et Juliette a traversé les siècles et les techniques.<br />
Répondre
L
<br /> <br /> Là encore, un mythe est toujours "réinterprétable"...<br /> <br /> <br /> <br />