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Analyse-Livres & Auteurs-Culture

Le mythe de l’amour-passion : Héloïse et Abélard (1)

 

Le mythe de l’amour-passion : Héloïse et Abélard (1)

(Tombeau, Père-Lachaise)

Le thème du mythe : l'amour-passion en Occident : Héloïse et Abélard

Repères : thème des mythes : présentation

 

Un fait divers du 12ème siècle

On doit ce mythe à une histoire vraie, un véritable fait divers, au 12ème siècle. Un moine érudit et célèbre, Abélard, tombe éperdument amoureux de sa jeune élève, Héloïse. Cette dernière, enceinte, se voit dans une situation extrêmement délicate, ce qui contraint le jeune clerc à l’épouser secrètement pour ne pas compromettre sa propre renommée ecclésiastique. Or, l’oncle d’Héloïse décide de se venger de l’affront subi et révèle à tous l’existence du mariage avant d’émasculer le pauvre Abélard. Cette dernière circonstance est portée sur la place publique avec pour effet de rendre indigne le moine d’exercer tout enseignement. Il finira par se retirer à l’abbaye de St Denis tandis qu’Héloïse prendra le voile à l’abbaye d’Argenteuil.

 

Cet amour impossible a reçu un écho très important qui a résonné dans l’imagination des troubadours du sud de la France qui n’auront de cesse de réécrire et de vanter le caractère brûlant de la passion et ses conséquences funestes. L’art courtois au 12ème siècle se diffusait dans la langue provençale et combinait des doctrines chrétiennes, manichéennes et néoplatoniciennes. Denis de Rougemont* met en évidence l’interprétation religieuse de l’amour courtois qui perdra de son influence au fil des siècles pour diviniser non plus la quête, mais l’objet de l’amour.

 

Le récit d’Abélard : une première réécriture

Ce fait divers a été mis en mots par Abélard lui-même. L’auteur fait une confession complète de cet amour-passion qu’il a éprouvé pour Héloïse. Les deux amants poursuivront cette entreprise littéraire au travers de poèmes courtois et d’une correspondance nourrie qui seront largement publiés. C’est en cela que cette histoire est entrée dans le champ de la littérature.

 

Notons qu’avec ce premier récit, on est déjà dans le cadre d’une première réécriture même si elle est effectuée par l’un des protagonistes de l’action. Dans l’extrait qui vous est proposé, vous pourrez lire l’aveu plein de simplicité et d’émotion du jeune moine. On est en effet saisi par le fait que les deux amants sont incapables de résister à leur attirance mutuelle : l’étude des textes qu’il vénérait tous deux se trouve délaissée, balayée par les ravages de la passion. Tous les ingrédients sont inscrits dans cette histoire, la ruse, le subterfuge, la volupté…

Voici donc un texte qui n’a pas pris une ride…

****

"Bref, nous fûmes d’abord réunis par le même toit, puis par le cœur. Sous prétexte d’étudier, nous étions tout entiers à l’amour ; ces mystérieux entretiens, que l‘amour appelait de ses vœux, les leçons nous en ménageait l’occasion. Les livres étaient ouverts, mais il se mêlait, dans les leçons plus de paroles d’amour que de philosophie, plus de baisers que d’explications ; mais mains revenaient plus souvent à son sein qu’à nos livres ; l’amour se réfléchissait dans nos yeux plus souvent que la lecture ne les dirigeait sur les textes. Pour mieux éloigner les soupçons, j’allais parfois jusqu’à la frapper : coups donnés par l’amour, non par la colère, par la tendresse, non par la haine, et plus doux que tous les baumes. Que vous dirais-je ? dans notre ardeur, nous avons traversé toutes les phases de l’amour ; tout ce que la passion peut imaginer de raffinement, nous l’avons épuisé. Plus ces joies étaient nouvelles pour nous, plus nous les prolongions avec délire : nous ne pouvions nous en lasser. Cependant, à mesure que la passion du plaisir m’envahissait, je pensais de moins en moins à l’étude et à mon école. C‘était pour moi un violent ennui d’y aller ou d’y rester ; c’était aussi une fatigue, mes nuits étant données à l’amour, mes journées au travail. Je ne faisais plus mes leçons qu’avec indifférence et tiédeur ; je parlais plus d’inspiration, mais de mémoire ; ne me faisais guère que répéter mes anciennes leçons, et si j’avais assez de liberté d’esprit pour composer quelques pièces de vers, c’était l’amour, non la philosophie qui me les dictait. De ces vers, vous le savez, la plupart, devenus populaires en maint pays, sont encore chantés par ceux qui se trouvent sous le charme du même sentiment."

 

Lettres d’Abélard et Héloïse, (1ère lettre)  Traduction V.Cousin, texte établi par O.Gréard

http://fr.wikisource.org/wiki/Lettres_d%E2%80%99Ab%C3%A9lard_et_d%E2%80%99H%C3%A9lo%C3%AFse/Lettre_premi%C3%A8re

 

*l’Amour et l’Occident de Denis de Rougemont (1972)

 

Repères à suivre : le mythe de l’amour-passion : Tristan et Iseult

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L
<br /> Tout le mythe de la virginité sacrée ! Encore une notion qui a eu du mal à disparaître en Occident<br />
Répondre
L
<br /> <br /> Le sens de l'outrage ....<br /> <br /> <br /> <br />