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Analyse-Livres & Auteurs-Culture

L'interprétation de la parabole de la porte étroite ( Gide)

L'analyse de la porte étroite de Gide nous conduit à nous interroger sur le sens du mot porte. Pourquoi, en effet, la porte ? À quelles références, ce terme prosaïque nous renvoie-t-il ? Il faut entrer dans le vif de la lecture et comprendre l'interprétation des protagonistes de l'action, Jérôme et Alissia. Thème de l'amour sacrifié.

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Repères : thème de la porte : l'étude

résumé : il a été indiqué dans l'article précédent l'influence dans la porte étroite d'André Gide des scènes opposant deux femmes, la tante du narrateur et la cousine de ce dernier. Il reste que c'est l'acception non prosaïque du mot porte que nous convie désormais la lecture de l'ouvrage de Gide...

***

L'interprétation de Jérôme

Le titre de cette œuvre provient d'une parabole tirée du Nouveau Testament* qui oppose deux portes, celle largement ouverte où la multitude est appelée à la perdition et la porte étroite où s'engouffrent peu d'âmes appelées à connaître la gloire céleste. Il s'agit aussi dans la narration du moment où le pasteur prononce son sermon qui secoue durablement Jérôme. Le jeune garçon y voit en effet un signe, un vibrant appel à l'amour :

« Et cette porte devenait encore la porte même de la chambre d'Alissa ; pour entrer je me réduisais, me vidais de tout ce qui subsistait en moi d'égoïsme... » (page 22). Tout à son exaltation, le jeune garçon décide de suivre ce chemin en vouant sa destinée à sa cousine. Si peu pénètrent par cette porte étroite, il entend être de cette poignée de bienheureux. Il sent le bonheur à portée de main. Il croit que l'illumination de cet instant lui ouvre un avenir radieux. Mais c'est sans compter sur l'interprétation divergente des textes faite par Alissa qui conçoit cet amour autrement...

L'interprétation des textes bibliques par Alissa

De son côté, Alissa se croit en effet investie d'une haute mission qui conditionnera toute sa vie. Traumatisée par la désertion maternelle du foyer conjugal, elle entend racheter l'acte honni en s'interdisant toute forme de félicité terrestre. Elle considère qu'elle n'est pas « née » pour le bonheur d'ici-bas. Elle ressent non un appel mais une culpabilité énorme à l'écoute de la souffrance de son père. Un mysticisme va littéralement s'emparer d'elle. La vertu devient proprement expiatoire. Elle médite à l'envi cette autre citation biblique :

« Recherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice ». (page 31)

Son interprétation stricte, à la fois doloriste et radicale, la mènera à choisir de s'effacer devant l'amour trop exclusif de Jérôme. L'attachement de ce dernier lui laisse en effet entrevoir qu'il est prêt à tout pour elle ; elle relève que son amour n'est point aussi élevé que le sien. Il lui dit : « je ferais fi du ciel si je ne devais pas t'y retrouver. » (page 30). Ces paroles blasphématoires la confortent dans son opinion et la conduisent à se sacrifier pour lui. Dans le contexte de l'époque, elle considère qu'elle est un obstacle au salut de Jérôme. Tout amour sur terre détourne du projet divin. Par ailleurs, scrupuleuse à l'excès, elle refuse d'être heureuse aux dépens de sa sœur Juliette, également éprise de Jérôme. La confusion des sentiments émaille ce récit familial.

Les tourments d'Alissa

La jeune fille choisit de mettre à distance cet amour qu'elle s'estime par ailleurs indigne de vivre. Ce sacrifice ne se fera pas sans souffrances et sans luttes intérieures. La tension dans son corps et dans son âme se font nombreuses. Elle porte avec délice un collier d'améthyste que lui a donné son cousin avant d'y renoncer. Elle sent qu'un geste de sa part ferait jaillir l'amour ; elle s'en défend :

« Que le bonheur soit là, tout près, s'il se propose... n'avoir qu'à allonger la main pour s'en saisir...

Ce matin, en causant avec lui, j'ai consommé le sacrifice ». (page 161)

Elle créera pour les besoins de la cause une succession d'oppositions aux fiançailles pour rendre littéralement cet amour impossible. Elle consent enfin à tout, à s'enlaidir, à devenir insignifiante, pour détourner à tout jamais l'homme qu'elle aime de sa propre personne. Une dernière entrevue parachèvera le sacrifice de la jeune femme...

La dernière porte

Jérôme qui n'a fait que subir les évènements avec une rare faiblesse durant trois ans décide, mais un peu tard, de forcer -enfin- le destin. A l'improviste, il rend visite à sa cousine. La métaphore de la porte refait son apparition dans le cadre du jardin des Bucolin. La porte est fermée et cette fois, il ose faire l'usage de sa force.

« La porte était close. Le verrou intérieur n'opposait toutefois qu'une résistance assez faible et que d'un coup d'épaule j'allais briser » (page 140).

Dans ce cadre extérieur, Alissa, malade, l'attend, ce qui surprend de prime abord le jeune homme. Elle lui révèle qu'elle l'attend même depuis trois jours. L'émotion est palpable. Jérôme se livre enfin à celle qu'il continue à aimer : il lui livre ses regrets, ses espoirs. Il l'étreint, l'embrasse. Mais pour Alissa qui l'écarte « les yeux emplis d'un indicible amour » (page 146) le sacrifice est consommé. Elle est prête à mourir pour goûter enfin à la félicité céleste. La porte du jardin va séparer à jamais les deux amoureux :

« Dès que la porte fut refermée, dès que je l'eus entendue tirer le verrou derrière elle, je tombai contre cette porte, en proie au plus excessif désespoir et restai longtemps pleurant et sanglotant dans la nuit. » (page 146)

Derrière la porte du jardin qui sépare désormais Alissa et Jérôme, c'est bien la clôture de cette histoire terrestre qui s'achève. Pour autant, cette histoire peut prendre alors toute son ampleur par la connaissance des évènements et des pensées retracés dans le journal intime de la jeune fille laissé à l'intention de celui qu'elle n'a jamais cessé d'aimé. Jérôme mesure l'étendue du sacrifice, véritable contrepoint de la faiblesse dont il a fait preuve. Terrible aveu...

Dans le prochain article, nous verrons aussi la symbolique de la porte en revisitant par là même l'univers de Dante : nous lirons ensemble, si vous le voulez bien, la Porte des Enfers de Laurent Gaudé.

 

*Mt 7 (13,14) et Luc 13 (22,30)

 

 

repères à suivre : l'étude : un itinéraire balisé par une première époque

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